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Architecture
construite et architecture cavée
Longtemps
considéré comme le résultat d'une exemplaire adaptation de l'habitat
humaine à son milieu physique, grâce à ses pouvoirs d'isolement
thermique et au mimétisme dans le paysage, l'usage d'habiter
sous terre à été victime, tout au long du XXème siècle, de préjugés
qui l'ont réduit au niveau de la curiosité architecturale.
Seuls
les monuments, comme le temple d'Abou Simbel dans les années
soixante, et les Bouddha géants de Bamiyan tout récemment, restent
présents dans l'imaginaire collectif et se voient protagonistes
de débat
La cause de cette crise, pareille à celle qui a intéressé d'autres
formes d'architecture, comme les tentes et les cabanes, réside
dans une prétendue non-modernité de cette forme d'habitat qui
a amené à la considérer comme quelque chose d'inférieur aux
formes bâties.
Il s'agit dans cet article de poser la question d'une relation
réciproque, hier comme aujourd'hui, entre l'architecture des
bâtiments et celle des ypogés. Les grottes troglodytiques reprennent
assez souvent les formes de l'architecture construite.
Ainsi, en Ethiopie, à Lalibela, certaines églises monolithiques
se servent des procédés stylistiques des palais du royaume d'Aksoum,
au point d'être entièrement décorées avec un motif qui imite
la superposition des briques et les poutres en bois.
De nombreuses grottes bouddhiques, également, de l'Asie centrale
et de l'Inde ont des plafonds qui reprennent les motifs ayant
des fonctions spécifiques dans l'architecture construite et
certains sanctuaires reproduisent dans un seul bloc de pierre
des temples entiers.
Plus près de nous, dans la région italienne des Pouilles, on
trouve très souvent des voûtes décorées avec des nervures ou
des poutres monolithiques sans aucune fonction statique. Le
même se passe avec les coupoles et de piliers en Cappadoce
Les hypogées funéraires étrusques ont été cavées à l'image des
maisons, avec toits à deux pans, fenêtres et sièges. La copie
était si similaire à l'originale que beaucoup furent habitées
au cours du Moyen âge.
A Betera, qui se situe dans la région de Valencia en Espagne,
une petite dénivellation a permis de créer des façades qui,
en masquant la vraie nature des maisons, donnent à un groupe
d'habitation troglodytiques l'aspect d'un îlot quelconque de
la ville.
Un passage de détails et de types architecturales du bâtis au
cavé peut être donc reconnu partout dans le monde.
Mais les architectures cavées ont aussi leur lexique, né de
leur essence de pur espace. Dans l'architecture troglodytique,
l'extérieur est résiduel, son volume disparaît. Il s'agit d'une
architecture des cavités, où la forme interne prédomine sur
la matière qui le délimite.
L'acte de creuser, de agire in levare comme disait Michel Ange
à propos de la sculpture, art qui utilise les mêmes ustensiles
et les mêmes actions de l'architecture troglodytique, crée les
espaces au sein desquels le pièces et les ornements se confondent,
étant fait de la même chose : l'air qui les remplit.
Dans l'architecture troglodytique, les espaces peuvent s'interpénétrer,
puisqu'ils sont libres dans les trois dimensions. Ils ne dépendent
pas, comme dans le cas des édifices, d'une structure extérieure
qui en les créant en définit aussi les relations réciproques.
Pourtant cette liberté n'est pas totale car les hypogées, s'ils
ne sont pas des tombes, ont une exigence : trouver et répandre
la lumière pour éclairer le plus possible ces lieux qui, presque
toujours, ont une seule façade.
De cette nécessité sont nés les plans à éventail qu'on trouve
à Massafra, près de Tarente. Et, de façon plus générale, c'est
toujours au désir de ne pas bloquer les faisceaux de lumière
qu'on doit les formes arrondies des intérieurs souterrains.
Puisqu'il n'y a pas d'angles, la lumière glisse sur les parois,
s'affaiblissant au lieu de disparaître, sens créer un contraste
net entre clarté et obscurité.
Ces caractères propres, ce langage organique ont en retour influencé
l'architecture construite dans ses formes traditionnelles, comme
dans ses formes contemporaines.
Selon plusieurs auteurs les ghorfa du sud tunisien, chambres
voûtées, longues et étroites avec une seule ouverture à l'avant,
construites l'une à côté de l'autre et superposées sur plusieurs
étages, répètent le type plus simple des grottes artificielles.
Raffaello Battaglia écrivait en 1931, à propos des ksour de
la région qu'ils seraient des villages troglodytiques en maçonnerie.
Cette thèse, aujourd'hui délaissé, est surtout significative
pour l'intuition qu'une architecture troglodytique construite
puisse exister.
En effet en Chine, dans la zone du lœss, où 80 % de la population
vit dans des maisons cavées, les maisons bâties sont construites
à l'identique de celles qui sont souterraines. Elles en imitent
les formes et les matériaux et, une fois terminées, elles sont
ensevelies sous une colline artificielle. De plus, elles portent
le même nom : yao-fang.
Le village de Seripe, dans le Nord-Est du Ghana, est un autre
exemple e systèmes construits tendant à la transposition des
formes et des avantages typiques d'un village hypogé. Dans le
périmètre des remparts du village, il n'existe pas de portes
; on entre dans le village en montant à des échelles. Il n'existe
pas non plus de rues conventionnelles, les espaces entre les
maisons étant totalement remplis. Chaque habitation possède
un patio central, entouré de pièces construites puis enterrées.
Les matériaux de construction sont des plus divers, allant du
bois à la terre en passant par les excréments de vaches. Le
mélange de boue, d'excrément et d'un jus de baie visqueux permet
d'obtenir une certaine imperméabilité. L'accès à la cour se
fait toujours par le haut.
L'espace public est représenté, comme à Matmatah et en Chine,
par les toits des maisons qui servent de routes, de places ou
de lieux de rencontres. Ce type de structure constitue une bonne
défense contre les razzias et contre un climat semi-aride. Ce
sont peut-être ces facteurs qui ont contribué au développement
d'une architecture similaire à celle des villages troglodytiques
cavés en profondeur.
L'influence de typologies et de techniques entre semble donc
se présenter dans les deux sens le long de l'histoire de l'architecture.
De nos jours, des palais de sport, des magasins et des maisons
s'enfuient, sous la terre, mais peu, en revanche, peuvent se
dire authentiquement troglodytiques, étant le plus souvent construits
et enterrés. La plupart d'entre eux n'est que la réproposition
sous la terre de schémas constructif typiques des typologies
de l'architecture du brique et du béton, mais il arrive parfois
que l'exemple naisse de la tradition cavée, comme dans le cas
du Centro Residenziale Ovest des architectes Gabetti et Isola
à Ivrea, Italie, qui rappelle l'organisation en demi-cercle
de certains villages pitonniers de Tunisie.
Il est, pourtant, aussi le cas de nombreux bâtiments qui, tout
en s'élevant du sol, reproduisent l'espace de la grotte, grâce
au traitement des parois, mais surtout à l'adoption du concept
des espaces fluides et des directions multiples de l'architecture
cavée comme la Spray House de John Johansen et les œuvres de
Frederick Kiesler.
Le dialogue entre Architecture bâtie et Architecture cavée n'est
donc pas interrompu et si maintenant l'architecture troglodytique
se retrouve en position marginale dans le débat d'architecture,
déjà l'essor récent des disciplines bioarchitectoniques l'appelle
à donner sa contribution à la recherche d'une forme d'habitat
qui soit plus en équilibre avec la nature.