Hétéroclite,
bizarroïde, protéiforme, robotique, explosive :
aucun adjectif n'est assez juste ou fort pour qualifier la musique
d'Art Zoyd. Se refusant à toute classification, à
toute tentative de définitions, cet ensemble électroacoustique
fondé en 1969 redéfinit à chacune de ses
uvres - opéra, théâtre musical, ciné-concert
ou encore "symphonie" - les limites de la musique
contemporaine pour atteindre, selon Gérard Hourbette,
leader d'Art Zoyd (voir l'entretien ci-dessous) une sorte de
"musique-frontière". A l'instar de leur création
musicale pour le film Metropolis, de Fritz Lang, présentée
en novembre 2001, à l'Auditorium de Lyon, et reprise
en décembre prochain au Studio 4 de Flagey, à
Bruxelles.
Jean-Louis Tallon - De combien de musiciens se composent
Art Zoyd aujourd'hui ?
Gérard
Hourbette - Art Zoyd est toujours en mouvement. Pour une uvre
comme Metropolis, il y en a quatre : Yukari Bertocchi-Hamada,
aux claviers, Patricia Dallio aux claviers et à l'échantillonneur,
Didier Casamitjana et Laurence Chave aux percussions. Pour
ma part, sur ce concert, je ne joue pas sur scène.
Je me repose [rires]. Quand on est trop impliqué
dans la composition musicale ou la conception des projets
artistiques, on n'a plus aucun recul pour aborder du mieux
possible la mise en scène et la direction musicale.
Surtout s'il s'agit d'un projet de deux heures, comme celui
de Metropolis.
JLT
- Comment définiriez-vous Art Zoyd aujourd'hui ?
GH
- Art Zoyd est une nébuleuse assez complexe. C'est
tout d'abord un studio d'accueil, de résidents, de
recherches musicales, de répétitions, d'enregistrements,
de toutes les musiques contemporaines avec un "s"
dont Art Zoyd est l' "insuflaire" ou l' "insuflateur"
quels beaux néologismes
Mais Art Zoyd est aussi
et peut-être avant tout un groupe de créateurs.
JLT
- Art Zoyd peut-il être considéré comme
un "groupe" ?
GH
- Oui. J'aime bien ce mot. Il suggère la notion d'objectif,
de communauté et de direction. Je le préfère
à celui de "collectif".
JLT
- Que reste-t-il du Art Zoyd de 1969, des débuts ?
GH
- Il faut être clair : personne [rires] ! J'ai
intégré le groupe en 1971 à l'âge
de dix-sept ans. Exceptée la période 1969-1971,
la réponse à votre question serait donc : moi
[rires].
JLT - Quel est votre parcours musical ? Celui d'Art Zoyd
GH
- Pratiquement, oui. A douze-treize ans, je suis rentré
au Conservatoire et j'ai commencé à me passionner
pour la musique contemporaine. J'ai découvert à
cette époque - dans les années 67-68 - Xenakis,
Kagel, Berio, Maderna, pendant le Festival de Royan. C'était
les débuts de Stockhausen et de l'électroacoustique.
Tout cela était passionnant. Les salles étaient
remplies de hauts-parleurs. C'était l'époque
des happenings. La musique était vivante et
était porteuse pour moi de significations. Je suis
en effet né dans une ville [Maubeuge (NDR) ] en construction,
remplie de machines. Pour moi, le pas cadencé d'un
cheval ou le rythme des rames dans un lac ne signifiaient
rien. En revanche, les bruits du métal, d'un train
qui passe ou siffle, avaient pour moi quelque chose de concret.
Ma sur et moi avions chacun un Tépaze. Dans la
chambre, nous écoutions : elle, Adamo et les Beatles,
et moi, Maurizio Kagel et Pierre Henry [rires]. On
ne se battait pas à coups de décibels car ces
appareils-là devaient marcher à ½ watt.
Quoi qu'il en soit, nos bagarres se terminaient toujours très
mal. Ca aurait bien plu à Cage ou à Kagel. Au
début des années 70, vers seize ans, j'ai découvert
d'autres musiques, et notamment le rock. Je me souviens d'un
disque de Spooky Tooth. Je ne trouvais pas ce groupe très
inventif, mais ils utilisaient la batterie et dégageaient
une certaine violence, qui correspond bien à mon tempérament.
A l'âge de dix-sept ans, j'ai rencontré Thierry
Zaboitzeff. Nous avions déjà formé un
duo influencé par des groupes comme Pink Floyd. Nous
avions l'intention, à l'époque, d'inventer une
musique personnelle
comme quand on a dix-sept ans
Et puis j'ai intégré Art Zoyd. Ca m'a permis
de renouer avec mes amours de jeunesse, autrement dit, avec
la musique contemporaine. Dès 1976, dès Symphonie
pour le jour où brûleront les cités,
Art Zoyd se démarquait d'ailleurs très nettement
du rock.
JLT
- Dans quelle lignée s'inscrirait plutôt votre
groupe ? Celle du minimalisme - avec Steve Reich, Philip Glass
et Terry Riley - de l'électroacoustique - avec Ivo
Malec, Pierre Schaeffer - de l'ambient - avec Brian Eno -
ou est-ce un peu tout ça à la fois ?
GH
- C'est difficile à dire. Tous les compositeurs vous
répondront qu'ils ne se sentent influencés par
personne. C'est vrai et faux. Il n'y a pas chez nous d'influences
revendiquées. Nous souhaitions dès le départ
ne pas être rangés dans des tiroirs. Cette attitude
nous a servi et desservi. Nous avons toujours été
isolés géographiquement et historiquement, mais
nous avons pu nous forger un style propre. Cela dit, il faut
être sourd pour ne pas entendre les musiques actuelles.
Pour ma part, j'en écoute et j'en entends (ce n'est
pas la même chose). On aurait d'ailleurs du mal à
ne pas entendre toutes les modes, tous ces vents qui soufflent.
Avec Art Zoyd, nous essayons de créer de l'inédit
musical, même s'il est infime, fugitif et s'entend seulement
dans une ou deux pièces. Nous voulons surtout exprimer
un sentiment personnel, et les idées auxquelles nous
tenons. Dans ces conditions, les influences importent peu.
Si vous voulez dire quelque chose, vous allez employer le
langage courant avec des tics qui finiront par être
un jour datés. Comme dans tous les langages, les modes
changent. Ecoutez le langage lycéen d'aujourd'hui.
Il ne ressemble pas à celui d'il y a encore cinq ou
dix ans. Peut-être est-ce la même chose en musique
? Peut-être certains styles finissent-ils par être
datés ? Il n'empêche que votre uvre, si
elle sonne bien, restera. Les musiques répétitives
ont, à leur époque, été réellement
intéressantes. Elles évacuaient en effet le
complexe des compositeurs à ne pas vouloir faire de
musique rythmée.
JLT
- Elles sortaient de l'atonalité et instauraient de
nouveau la musique directionnelle
GH
-
et pulsée. Mais aujourd'hui, même si
j'ai beaucoup écouté leurs musiques, je garde
mes distances avec les oeuvres de Reich et Glass.
JLT
- Quels sont, selon vous, les enjeux de la musique aujourd'hui
?
GH
- La musique peut-elle être uniquement exécutée
en live ? Que vient chercher le public dans un concert
? Nous sommes entrés, me semble-t-il, dans une ère
de musique virtuelle, enregistrable à volonté,
malléable. Auparavant, cette forme de reproduction
n'existait pas. Qu'auraient fait Bach ou Mozart, s'ils avaient
pu enregistrer leur musique ? On peut pertinemment se le demander.
Par ailleurs, assister à un concert dans les mêmes
conditions qu'au 19ème siècle, m'a toujours
gêné. J'ai commencé à aller très
tôt aux concerts. Mais j'avais d'abord découvert
la musique en disque. Là, l'imaginaire fonctionnait
à plein. J'étais perdu dans ma province du nord,
où il y avait très peu de concerts. Cette musique
contemporaine parée de mon imagination prenait des
proportions originales et fantastiques. Au contraire, quand
je me retrouvais dans une salle, comme je n'étais pas
au premier rang, le volume me paraissait relativement bas,
les chaises grinçaient, les gens toussaient
Je
ne suis pas asocial mais l'environnement d'une salle par sa
mauvaise qualité sonore ou l'attitude du public peut
me gêner. L'imaginaire qui peut accompagner les uvres
classiques se retrouvait considérablement réduit.
En revanche, si elles faisaient l'objet d'une création
théâtrale ou visuelle ou si elles étaient
plongées dans l'obscurité de mon disque, mon
imaginaire était comblé. Il faut donc rendre
l'écriture vivante pour les oreilles et l'imaginaire.
Cela ouvre des perspectives et toutes les réponses
sont possibles. Libre à chacun d'en trouver.
JLT
- Art Zoyd a déjà réalisé trois
cinés-concert. Metropolis est le quatrième.
Quand a-t-il créé ?
GH
- Le 31 mai, au Salisbury Festival, en Angleterre. On l'a
remanié durant l'été et on vient de donner
la première française, à Maubeuge.
JLT
- Comment est né le projet ?
GH
- Un jeune universitaire américain était venu
nous voir avec une bande-vidéo sous le bras. Il voulait
nous montrer Metropolis de Fritz Lang. Il en avait
piqué une version et avait concocté sa propre
bande-son, notamment à partir de disques d'Art Zoyd.
Nous cherchions alors un nouveau projet pour le festival de
Maubeuge. L'idée nous avait paru géniale et
nous avions décidé de créer une musique
originale pour Metropolis. Malheureusement, c'était
la grande époque de la version colorisée et
de la musique de Giorgio Moroder. Il n'était pas question
d'y toucher. Nous n'avions pas obtenu les droits et nous nous
étions donc rabattus, avec raison, sur Nosferatu,
de Murnau que nous avions découvert à la même
époque. Outre Nosferatu, nous avons ensuite
travaillé sur Faust, toujours de Murnau et Häxan,
de Christensen. Parallèlement, la musique de Art Zoyd
a évolué, s'est ouverte à d'autres domaines.
Mais nous avions totalement enterré l'idée de
mettre Metropolis en musique. Le projet est pourtant
revenu au goût du jour l'an dernier. Nous étions
en contact avec la Fondation Murnau, détentrice de
la nouvelle version de Metropolis. Trois ou quatre
coproducteurs se sont intéressés à l'idée.
Et tout s'est très vite enchaîné.
JLT
- Qu'est-ce qui vous attire dans le fait de mêler film
et musique ?
GH
- Tout simplement, l'exercice de style. Comme l'opéra,
c'est exigeant et difficile. En outre, nous revenons pour
la quatrième fois au ciné-concert car ce média
permet d'intéresser un plus large public.
JLT
- Le film joue-t-il le même rôle qu'un livret
d'opéra ?
GH
- Oui. Mais en plus contraignant. Le compositeur est libre
d'étirer ou d'accélérer le livret d'opéra.
Là, avec un film, les contraintes sont définitivement
fixées par la pellicule. On ne va pas remonter le film.
Son timing est précis et particulier. Une séquence
dure quelques secondes. La musique doit donc exister indépendamment
du film. Il faut trouver des concordances, des accélérations,
des respirations, des contre-points. Il faut parfois savoir
jouer avec le film, parfois s'en éloigner. Le compositeur
doit surtout éviter deux écueils : l'illustration
musicale et le contre-sens. Il doit toujours avoir à
l'esprit les questions suivantes : quel espace de liberté
peut-on mettre en scène ? Quelles idées créatrices
vont me permettre d'exploiter l'espace de liberté réduit
que me laisse le film ?
JLT
- Vous n'auriez pas envie de mettre en musique des films parlants
comme a pu le faire Philip Glass avec Dracula, de Tod
Browning, ou encore la Belle et la Bête de Jean
Cocteau ?
GH
- On pourrait "muetiser" un film parlant [rires].
Un tel projet appellerait, selon moi, un certain second degré.
On avait l'intention de mettre en musique le Samouraï
de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon [rires].
Cela dit, le cinéma muet me plaît davantage car
il a une telle esthétique de mouvements et de gestes
totalement occultée par le cinéma parlant !
Et puis, quitte à travailler sur un film parlant, autant
collaborer avec un cinéaste vivant et monter directement
le projet avec lui.
JLT
- Que pensez-vous des opéras mis en films ? Cela ne
procède-t-il pas de la même idée que les
cinés-concerts ?
GH
- Si, mais à l'envers. Pour un cinéaste, l'exercice
de style doit être également difficile. Il faut
parvenir à apprivoiser le phrasé. J'admire beaucoup
cette gageure car je n'aime pas l'opéra. Ce doit être
lié à mon côté nordiste. Je ne
suis pas assez italien pour ça [rires]. Je n'aime
pas non plus les opéras germaniques. Certainement à
cause de la guerre. Cela dit, si je préfère
écouter la musique symphonique et instrumentale en
disque, je préfère néanmoins entendre
et voir un opéra sur scène, surtout quand ils
sont magnifiques comme Barbe Bleue de Bartok, que j'ai
vu plusieurs fois.
JLT
- Avez-vous un autre projet de ciné-concert, après
Metropolis ?
GH
- Non.
JLT
- Vous l'envisagez ?
GH
- Après Häxan, j'avais dit qu'on ne ferait
plus jamais de cinés-concert. Je préfère
donc me taire. [rires]
JLT
- Quel regard portez-vous sur l'enseignement des conservatoires
?
GH
- Même s'ils sont nécessaires, les conservatoires
sont d'abord des boîtes de conserve. C'est dans le mot,
non ? L'enseignement qui y est dispensé a trente ou
quarante ans de retard.
JLT
- Qu'en est-il aux Etats Unis ?
GH
- La situation est différente. Les conservatoires sont
moins conservateurs. Mais il faut se méfier de l'image
qu'on peut avoir des Etats Unis. Elle peut être trompeuse.
C'est un pays tellement vaste et varié que ses musiques
contemporaines ont su donner des allumés de première
introuvables en Europe, comme John Cage ou Harry Partch. La
question est de savoir si c'est le fait d'un pays conservateur
ou d'une culture reposant sur des fonds privés, ceux
du cheer man. Contrairement aux pays latins et germaniques,
où la culture est un enjeu de service public.
JLT
- J'aimerais que vous nous parliez du studio Art Zoyd et de
vos deux centres d'activités et d'intérêt
: la formation et la production. Comment est née cette
partie de l'activité d'Art Zoyd ?
GH
- Quand j'étais jeune, il n'y avait ni concert, ni
théâtre, aucun accès à la culture,
à l'exception d'un petit conservatoire. La création
du studio Art Zoyd a permis de mettre en place ce qui n'existait
pas à mon époque. Par ailleurs, on ne peut pas
vivre en autarcie. Si l'art d'aujourd'hui ne s'ouvre pas à
un public plus large et à la formation, il restera
cloîtré dans sa tour d'ivoire, réservé
à une élite difficile à défendre.
Jean Vilar parlait d'un "art élitaire pour
tous". La formule me plaît. La musique et l'art
contemporain semblent difficiles d'accès ou, pour la
plupart, monstrueux, hors normes. On est aussi habitué
à l'entendre qu'à voir des éléphants
dans la rue. Personne n'en écoute. Il faut donc décloisonner
des arts. En ce sens, la musique, associée à
une vidéo, une chorégraphie ou à un film,
sera certainement mieux accepté. Et le studio Art Zoyd
s'inscrit dans cette logique.
JLT
- Comment s'est passé votre travail sur Ubique
?
GH
- C'était un concours de circonstances. Ce projet est
curieusement né très vite. Nous avions commencé,
depuis des années, à faire visiter nos studios.
Soutenus par les collectivités territoriales et locales,
nous avons élargi notre champ d'action. La plus belle
aventure à vivre pour un compositeur est de rassembler
de jeunes musiciens autour d'un projet très ambitieux.
Ce fut le cas d'Ubique. Le travail a duré un
an. Nous n'avions aucune idée préconçue.
Nous n'avions pas cherché à recréer un
ensemble de type " classique ". Les jeunes musiciens
qui nous avaient rejoints étaient d'ailleurs, pour
la plupart, issus de groupes de jazz ou de rock. Nous avions
donc privilégié les batteries, les guitares
électriques et les cuivres. Au bout du compte, nous
avons obtenu un orchestre symphonique hétéroclite,
où les violons, les violoncelles et les contrebasses
étaient remplacés par des guitares électriques
et des basses, les vents par une section de trompettes, saxophones,
trombones et tubas et puis il y avait une section de batteries
et de percussions. Cette formation unique et inédite,
encadrée par cinq musiciens d'Art Zoyd, ressemblait
à un gigantesque maelström d'instruments. Mais
un tel orchestre était difficilement déplaçable.
Nous avons donc donné un seul concert et un disque
a suivi.
JLT
- Pourquoi avez-vous créé le Centre Transfontalier
de production et de création musicale Art Zoyd ? Est-ce
pour essayer de développer cette combinaison entre
musique électroacoustique et musique électronique
à laquelle vous contribuez ?
GH
- Je crois à l'élargissement de l'instrument
en général. L'instrument classique conserve,
selon moi, sa vérité, mais l'électronique
a également sa pertinence. Elle doit désormais
sortir au grand jour. Le studio nous a permis de prouver que
les musiques électroniques avaient leur place non plus
sur bande mais sur scène avec les samplers et que les
ordinateurs étaient des instruments comme les autres,
capables, notamment, de phrasés. Peut-être sont-ils
encore figés ? Ils le sont tout de même beaucoup
moins qu'un orgue d'Eglise. Ils sont capables de dynamiques
et sont quasiment programmables à l'infini. Même
s'ils confèrent à la musique une part de robotique
qui m'amuse, ils ne sont finalement pas si déshumanisés.
Le seul point faible de la musique électroacoustique
réside dans sa diffusion. Elle dépend des hauts-parleurs
et le haut-parleur est un encore un appareil préhistorique.
Cela dit, il faut bien commencer. Nous ne sommes heureusement
plus à l'époque du stradivarius. Les systèmes
sont de plus en plus performants. Mais les modes de diffusion
sont difficiles à maîtriser. Certaines salles
ne sont pas prévues pour accueillir tous les publics.
Et ces derniers ne sont pas formés à cette musique.
Tout est donc à inventer. Le studio a profité
du travail du groupe Art Zoyd qui utilisait de plus en plus
de samplers, la bande et délaissait le synthétiseur.
Le studio s'est agrandi. Son rayonnement s'est amplifié.
Avoir à ma disposition un tel outil et ne pas l'ouvrir
sur l'extérieur, me paraissait aberrant. Il fallait
donc le faire. Ca renforce les croisements entre les genres,
les styles et les artistes. C'était selon moi fondamental.
Il fallait, en même temps, éviter de se perdre
dans un trop grosse structure et dans un grand nombre d'obligations.
Comme vous le voyez, Art Zoyd, depuis dix ans, a donc complètement
changé. C'est aujourd'hui une vraie ruche.
JLT
- Vous vous êtes associés à des compositeurs
comme Luc Ferrarri ou Thierry de May
GH
- Oui. Certaines rencontres furent plus ou moins ponctuelles.
Actuellement, nous travaillons avec Horatio Rodolescu et avec
des créateurs comme Jérome Pommier ou Jean-Paul
Dessy, qui est chef d'orchestre.
JLT
- Vous retrouvez-vous dans la démarche du Grame, à
Lyon ?
GH
- D'une certaine manière, oui. Ils nous ont déjà
programmés deux fois dans le cadre de Musiques en
Scène. Ils sont nécessaires à l'évolution
de la musique électroacoustique. C'est important d'être
à la fois créateur et organisateur ou commanditaire.
JLT
- Comme vous, ils font venir les compositeurs en résidence
GH
- C'est important. Ce n'est pas un phénomène
nouveau. L'histoire de la musique et notamment celle du 20ème
siècle l'a bien montré : il est nécessaire
pour un compositeur d'expérimenter de nouvelles voies.
La plupart ont été tentés, du moins temporairement,
par l'organisation de festivals. C'est un bon moyen pour confronter
les idées et se remettre en question. En musique, l'échange
reste capital.
JLT
- Vous soutenez un maximum de six projets de création
musicale par an
GH
- Absolument et cela à la demande du Conseil régional
Nord-Pas-de-Calais qui voulait voir notre action s'élargir
et soutenir les jeunes créateurs de la région,
qu'ils soient musiciens, compositeurs, chorégraphes
ou vidéastes. Il serait très intéressant
de prolonger l'idée sur un plan national. Nous y arriverons.
C'est une question de moyens et d'espaces de locaux. Il faut
également rajouter les six projets dits
"internationaux". En accord avec l'ensemble Musique
Nouvelle, en Belgique, Art Zoyd souhaite accueillir des compositeurs
et créer leurs uvres, et même ouvrir les
portes du studio aux compagnies.
JLT
- Recevez-vous beaucoup de dossiers ?
GH
- Non, pas beaucoup. C'est dommage. Peut-être est-ce
dû au manque de vitalité des artistes ? Cela
dit, nous recevons tout de même une dizaine de projets
par an. Trois ou quatre sont sélectionnés.
JLT
- Comment est prise la décision ?
GH
- Collégialement, avec le directeur du Conservatoire
de Lille, de l'Aéronef à Lille, un producteur,
un chorégraphe, une chorégraphe, un vidéaste
- récemment, c'était Pierre-Yves Saurin - et
moi-même. Nous sommes donc une dizaine. C'est un système
un peu lourd. Mais il a été souhaité
ainsi.
JLT
- Vous ne pouvez pas trop y échapper
GH
- Nous sommes contraints de fixer certaines règles
et de suivre une procédure officielle. En revanche,
sur le plan local, nous avons ouvert des formations accessibles
à tous. Ce projet concerne plus particulièrement
le département et l'agglomération. Le projet
d'origine est complètement ouvert et les compositeurs
du nord, de Belgique, du Japon ou des Etat Unis sont les bienvenus.
L'idée était d'échapper aux écoles.
Pour cette raison, les compositeurs sont extrêmement
différents. Leur point commun : l'instrumentarium électroacoustique
et l'utilisation de la vidéo, à partir de cette
année.
JLT
- Comment s'est passé votre collaboration avec Dumb
Type sur Dangereuses visions ?
GH
- Pour ce projet, nous avons seulement travaillé avec
leur vidéaste. Il a illustré une pièce
de Dangereuses visions. Nous connaissons bien Dumb
Type. Ils sont venus plusieurs fois au Festival de Mons et,
à chaque fois, nous avions évoqué une
future collaboration. Ils ont un univers très personnel.
Nous avons également accueilli le compositeur de Dumb
Type, pour une pièce instrumentale. Il est venu travailler
une de ses pièces pour cordes, composée sur
ordinateur aux studios de Art Zoyd.
JLT
- Quel regard portez-vous sur la musique techno ? Je pense
surtout aux trajectoires d'artistes comme Aphex Twin, Laurent
Garnier ou Air.
GH
- Je les connais assez mal. J'ai écouté tout
récemment des extraits du dernier album d'Aphex Twin.
J'en avais entendu parler. C'est difficile d'être au
courant de tout. Leur musique m'a parue de bonne facture et
très intéressante. Cela dit, j'ai un problème
avec la musique techno : ce n'est pas mon rythme cardiaque
[rires]. Je suis " tacchychardique ". J'aime
quand la musique tourne dans tous les sens, accélère,
ralentit. J'aime la répétition mais également
la variation. Cela dit, j'aime les uvres musicales au
rythme continu. La pulsation d'Ubique battait sans
cesse à 120 par minute. Mais c'est rare : la batterie
m'a toujours gênée.
JLT
- Pourtant, vous l'avez utilisé dans Ubique
GH
- Oui. Mais il y en avait peu. C'était juste un clin
d'il. J'ai toujours eu des problèmes avec les
batteurs, les batteries, l'opéra [rires] et
JLT
-
et ?
[rires]
GH
- Tous ceux qui se lancent dans l'écriture, quelle
qu'elle soit, sont avant tout des malades [rires].
Ils ont beaucoup de soucis.
JLT
- D'où vient le mot " zoyd " ?
GH
- Ce nom a été trouvé sur le bord d'une
scène de concert du Golf Drouot. Le premier nom du
groupe était Experimental music. Mais leur producteur
ne trouvait pas ce nom-là très vendeur. Il fallait
un terme plus en rapport avec " leur musique bizarroïde
". Et, à partir de ce mot, ils ont déliré
pendant dix minutes et tous sont tombés d'accord pour
appeler le groupe " arzoïde ". Et comme dans
les plus belles histoires d'évolution linguistique,
le vin aidant, une demi-heure plus tard, le mot est devenu
arzöid, avec un tréma sur le " o "
JLT
- Puis le son s'est transformé en " oy "
GH
- Personne ne disait [zöid] mais [zoyd], probablement
par assimilation à Pink Floyd. Nous sommes donc passés
de " arzoïd " à " artzoyd ".
Comme tous les musiciens sont partis l'un après l'autre,
personne ne se souvenait de cette explication. Certains fans,
à l'époque, avaient imaginé que Zoyd
était une planète ou je ne sais quoi
L'origine
du nom du groupe a donné lieu à toutes les histoires
possibles et imaginables.
JLT
- Vous avez en préparation un opéra urbain intitulé
Partie de Chasse. De quoi s'agit-il ?
GH
- Il y est essentiellement question des chasses, des jambes
des filles [rires]. Le mot est ambigu. Au départ,
il s'agit d'un opéra " pornologique ". Mais
Partie de chasse est vraiment une partie de jambes
en l'air, car le projet a du mal à démarrer.
Il est pour l'instant fragmentaire. Je ne m'en occupe pas
encore. S'il n'y a rien de concret d'ici quelques temps, les
musiques seront utilisées pour d'autres choses. Je
n'aime pas laisser des créations dans des cartons.
J'ai également en vue un opéra portant sur un
boxeur. L'uvre sera courte et fera en toute liberté
la part belle aux nouvelles technologies. Il s'agira d'ailleurs
davantage de théâtre musical que d'opéra.
JLT
- La presse française et étrangère, européenne
et américaine ne tarit pas d'éloge sur Art Zoyd.
Diriez-vous aujourd'hui que vous faîtes l'unanimité
?
GH
- Non. Moins qu'avant, je crois.
JLT
- Pourtant, vous allez jouer à l'Auditorium de Lyon
.
GH
- Plus on élargit les champs d'expériences,
plus on prend le risque de se brouiller avec certaines personnes
qui aimaient bien une parcelle de notre travail. Art Zoyd
quitte de plus en plus l'univers rock pour un autre hors normes.
Nous atteignons une sorte de musique frontière. Certains
projets comme Expériences de vol ou Dangereuses
visions en ont d'ailleurs décontenancé plus
d'un. En partie, à cause des mauvaises conditions de
concert. Certaines salles ne sont pas toujours bien préparées
dans le montage et tous les aspects techniques.
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Propos
recueillis par Jean-Louis Tallon
Lyon - novembre 2001 |
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