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Gérard Hourbette - Photo Horspress

Entretien avec Gérard Hourbette, leader du groupe Art Zoyd

       Hétéroclite, bizarroïde, protéiforme, robotique, explosive : aucun adjectif n'est assez juste ou fort pour qualifier la musique d'Art Zoyd. Se refusant à toute classification, à toute tentative de définitions, cet ensemble électroacoustique fondé en 1969 redéfinit à chacune de ses œuvres - opéra, théâtre musical, ciné-concert ou encore "symphonie" - les limites de la musique contemporaine pour atteindre, selon Gérard Hourbette, leader d'Art Zoyd (voir l'entretien ci-dessous) une sorte de "musique-frontière". A l'instar de leur création musicale pour le film Metropolis, de Fritz Lang, présentée en novembre 2001, à l'Auditorium de Lyon, et reprise en décembre prochain au Studio 4 de Flagey, à Bruxelles.

Jean-Louis Tallon - De combien de musiciens se composent Art Zoyd aujourd'hui ?

Gérard Hourbette - Art Zoyd est toujours en mouvement. Pour une œuvre comme Metropolis, il y en a quatre : Yukari Bertocchi-Hamada, aux claviers, Patricia Dallio aux claviers et à l'échantillonneur, Didier Casamitjana et Laurence Chave aux percussions. Pour ma part, sur ce concert, je ne joue pas sur scène. Je me repose [rires]. Quand on est trop impliqué dans la composition musicale ou la conception des projets artistiques, on n'a plus aucun recul pour aborder du mieux possible la mise en scène et la direction musicale. Surtout s'il s'agit d'un projet de deux heures, comme celui de Metropolis.

JLT - Comment définiriez-vous Art Zoyd aujourd'hui ?

GH - Art Zoyd est une nébuleuse assez complexe. C'est tout d'abord un studio d'accueil, de résidents, de recherches musicales, de répétitions, d'enregistrements, de toutes les musiques contemporaines avec un "s" dont Art Zoyd est l' "insuflaire" ou l' "insuflateur"… quels beaux néologismes… Mais Art Zoyd est aussi et peut-être avant tout un groupe de créateurs.

JLT - Art Zoyd peut-il être considéré comme un "groupe" ?

GH - Oui. J'aime bien ce mot. Il suggère la notion d'objectif, de communauté et de direction. Je le préfère à celui de "collectif".

JLT - Que reste-t-il du Art Zoyd de 1969, des débuts ?

GH - Il faut être clair : personne [rires] ! J'ai intégré le groupe en 1971 à l'âge de dix-sept ans. Exceptée la période 1969-1971, la réponse à votre question serait donc : moi [rires].

JLT - Quel est votre parcours musical ? Celui d'Art Zoyd…

GH - Pratiquement, oui. A douze-treize ans, je suis rentré au Conservatoire et j'ai commencé à me passionner pour la musique contemporaine. J'ai découvert à cette époque - dans les années 67-68 - Xenakis, Kagel, Berio, Maderna, pendant le Festival de Royan. C'était les débuts de Stockhausen et de l'électroacoustique. Tout cela était passionnant. Les salles étaient remplies de hauts-parleurs. C'était l'époque des happenings. La musique était vivante et était porteuse pour moi de significations. Je suis en effet né dans une ville [Maubeuge (NDR) ] en construction, remplie de machines. Pour moi, le pas cadencé d'un cheval ou le rythme des rames dans un lac ne signifiaient rien. En revanche, les bruits du métal, d'un train qui passe ou siffle, avaient pour moi quelque chose de concret. Ma sœur et moi avions chacun un Tépaze. Dans la chambre, nous écoutions : elle, Adamo et les Beatles, et moi, Maurizio Kagel et Pierre Henry [rires]. On ne se battait pas à coups de décibels car ces appareils-là devaient marcher à ½ watt. Quoi qu'il en soit, nos bagarres se terminaient toujours très mal. Ca aurait bien plu à Cage ou à Kagel. Au début des années 70, vers seize ans, j'ai découvert d'autres musiques, et notamment le rock. Je me souviens d'un disque de Spooky Tooth. Je ne trouvais pas ce groupe très inventif, mais ils utilisaient la batterie et dégageaient une certaine violence, qui correspond bien à mon tempérament. A l'âge de dix-sept ans, j'ai rencontré Thierry Zaboitzeff. Nous avions déjà formé un duo influencé par des groupes comme Pink Floyd. Nous avions l'intention, à l'époque, d'inventer une musique personnelle… comme quand on a dix-sept ans… Et puis j'ai intégré Art Zoyd. Ca m'a permis de renouer avec mes amours de jeunesse, autrement dit, avec la musique contemporaine. Dès 1976, dès Symphonie pour le jour où brûleront les cités, Art Zoyd se démarquait d'ailleurs très nettement du rock.

JLT - Dans quelle lignée s'inscrirait plutôt votre groupe ? Celle du minimalisme - avec Steve Reich, Philip Glass et Terry Riley - de l'électroacoustique - avec Ivo Malec, Pierre Schaeffer - de l'ambient - avec Brian Eno - ou est-ce un peu tout ça à la fois ?

GH - C'est difficile à dire. Tous les compositeurs vous répondront qu'ils ne se sentent influencés par personne. C'est vrai et faux. Il n'y a pas chez nous d'influences revendiquées. Nous souhaitions dès le départ ne pas être rangés dans des tiroirs. Cette attitude nous a servi et desservi. Nous avons toujours été isolés géographiquement et historiquement, mais nous avons pu nous forger un style propre. Cela dit, il faut être sourd pour ne pas entendre les musiques actuelles. Pour ma part, j'en écoute et j'en entends (ce n'est pas la même chose). On aurait d'ailleurs du mal à ne pas entendre toutes les modes, tous ces vents qui soufflent. Avec Art Zoyd, nous essayons de créer de l'inédit musical, même s'il est infime, fugitif et s'entend seulement dans une ou deux pièces. Nous voulons surtout exprimer un sentiment personnel, et les idées auxquelles nous tenons. Dans ces conditions, les influences importent peu. Si vous voulez dire quelque chose, vous allez employer le langage courant avec des tics qui finiront par être un jour datés. Comme dans tous les langages, les modes changent. Ecoutez le langage lycéen d'aujourd'hui. Il ne ressemble pas à celui d'il y a encore cinq ou dix ans. Peut-être est-ce la même chose en musique ? Peut-être certains styles finissent-ils par être datés ? Il n'empêche que votre œuvre, si elle sonne bien, restera. Les musiques répétitives ont, à leur époque, été réellement intéressantes. Elles évacuaient en effet le complexe des compositeurs à ne pas vouloir faire de musique rythmée.

JLT - Elles sortaient de l'atonalité et instauraient de nouveau la musique directionnelle…

GH - …et pulsée. Mais aujourd'hui, même si j'ai beaucoup écouté leurs musiques, je garde mes distances avec les oeuvres de Reich et Glass.

JLT - Quels sont, selon vous, les enjeux de la musique aujourd'hui ?

GH - La musique peut-elle être uniquement exécutée en live ? Que vient chercher le public dans un concert ? Nous sommes entrés, me semble-t-il, dans une ère de musique virtuelle, enregistrable à volonté, malléable. Auparavant, cette forme de reproduction n'existait pas. Qu'auraient fait Bach ou Mozart, s'ils avaient pu enregistrer leur musique ? On peut pertinemment se le demander. Par ailleurs, assister à un concert dans les mêmes conditions qu'au 19ème siècle, m'a toujours gêné. J'ai commencé à aller très tôt aux concerts. Mais j'avais d'abord découvert la musique en disque. Là, l'imaginaire fonctionnait à plein. J'étais perdu dans ma province du nord, où il y avait très peu de concerts. Cette musique contemporaine parée de mon imagination prenait des proportions originales et fantastiques. Au contraire, quand je me retrouvais dans une salle, comme je n'étais pas au premier rang, le volume me paraissait relativement bas, les chaises grinçaient, les gens toussaient… Je ne suis pas asocial mais l'environnement d'une salle par sa mauvaise qualité sonore ou l'attitude du public peut me gêner. L'imaginaire qui peut accompagner les œuvres classiques se retrouvait considérablement réduit. En revanche, si elles faisaient l'objet d'une création théâtrale ou visuelle ou si elles étaient plongées dans l'obscurité de mon disque, mon imaginaire était comblé. Il faut donc rendre l'écriture vivante pour les oreilles et l'imaginaire. Cela ouvre des perspectives et toutes les réponses sont possibles. Libre à chacun d'en trouver.

JLT - Art Zoyd a déjà réalisé trois cinés-concert. Metropolis est le quatrième. Quand a-t-il créé ?

GH - Le 31 mai, au Salisbury Festival, en Angleterre. On l'a remanié durant l'été et on vient de donner la première française, à Maubeuge.

JLT - Comment est né le projet ?

GH - Un jeune universitaire américain était venu nous voir avec une bande-vidéo sous le bras. Il voulait nous montrer Metropolis de Fritz Lang. Il en avait piqué une version et avait concocté sa propre bande-son, notamment à partir de disques d'Art Zoyd. Nous cherchions alors un nouveau projet pour le festival de Maubeuge. L'idée nous avait paru géniale et nous avions décidé de créer une musique originale pour Metropolis. Malheureusement, c'était la grande époque de la version colorisée et de la musique de Giorgio Moroder. Il n'était pas question d'y toucher. Nous n'avions pas obtenu les droits et nous nous étions donc rabattus, avec raison, sur Nosferatu, de Murnau que nous avions découvert à la même époque. Outre Nosferatu, nous avons ensuite travaillé sur Faust, toujours de Murnau et Häxan, de Christensen. Parallèlement, la musique de Art Zoyd a évolué, s'est ouverte à d'autres domaines. Mais nous avions totalement enterré l'idée de mettre Metropolis en musique. Le projet est pourtant revenu au goût du jour l'an dernier. Nous étions en contact avec la Fondation Murnau, détentrice de la nouvelle version de Metropolis. Trois ou quatre coproducteurs se sont intéressés à l'idée. Et tout s'est très vite enchaîné.

JLT - Qu'est-ce qui vous attire dans le fait de mêler film et musique ?

GH - Tout simplement, l'exercice de style. Comme l'opéra, c'est exigeant et difficile. En outre, nous revenons pour la quatrième fois au ciné-concert car ce média permet d'intéresser un plus large public.

JLT - Le film joue-t-il le même rôle qu'un livret d'opéra ?

GH - Oui. Mais en plus contraignant. Le compositeur est libre d'étirer ou d'accélérer le livret d'opéra. Là, avec un film, les contraintes sont définitivement fixées par la pellicule. On ne va pas remonter le film. Son timing est précis et particulier. Une séquence dure quelques secondes. La musique doit donc exister indépendamment du film. Il faut trouver des concordances, des accélérations, des respirations, des contre-points. Il faut parfois savoir jouer avec le film, parfois s'en éloigner. Le compositeur doit surtout éviter deux écueils : l'illustration musicale et le contre-sens. Il doit toujours avoir à l'esprit les questions suivantes : quel espace de liberté peut-on mettre en scène ? Quelles idées créatrices vont me permettre d'exploiter l'espace de liberté réduit que me laisse le film ?

JLT - Vous n'auriez pas envie de mettre en musique des films parlants comme a pu le faire Philip Glass avec Dracula, de Tod Browning, ou encore la Belle et la Bête de Jean Cocteau ?

GH - On pourrait "muetiser" un film parlant [rires]. Un tel projet appellerait, selon moi, un certain second degré. On avait l'intention de mettre en musique le Samouraï de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon [rires]. Cela dit, le cinéma muet me plaît davantage car il a une telle esthétique de mouvements et de gestes totalement occultée par le cinéma parlant ! Et puis, quitte à travailler sur un film parlant, autant collaborer avec un cinéaste vivant et monter directement le projet avec lui.

JLT - Que pensez-vous des opéras mis en films ? Cela ne procède-t-il pas de la même idée que les cinés-concerts ?

GH - Si, mais à l'envers. Pour un cinéaste, l'exercice de style doit être également difficile. Il faut parvenir à apprivoiser le phrasé. J'admire beaucoup cette gageure car je n'aime pas l'opéra. Ce doit être lié à mon côté nordiste. Je ne suis pas assez italien pour ça [rires]. Je n'aime pas non plus les opéras germaniques. Certainement à cause de la guerre. Cela dit, si je préfère écouter la musique symphonique et instrumentale en disque, je préfère néanmoins entendre et voir un opéra sur scène, surtout quand ils sont magnifiques comme Barbe Bleue de Bartok, que j'ai vu plusieurs fois.

JLT - Avez-vous un autre projet de ciné-concert, après Metropolis ?

GH - Non.

JLT - Vous l'envisagez ?

GH - Après Häxan, j'avais dit qu'on ne ferait plus jamais de cinés-concert. Je préfère donc me taire. [rires]

JLT - Quel regard portez-vous sur l'enseignement des conservatoires ?

GH - Même s'ils sont nécessaires, les conservatoires sont d'abord des boîtes de conserve. C'est dans le mot, non ? L'enseignement qui y est dispensé a trente ou quarante ans de retard.

JLT - Qu'en est-il aux Etats Unis ?

GH - La situation est différente. Les conservatoires sont moins conservateurs. Mais il faut se méfier de l'image qu'on peut avoir des Etats Unis. Elle peut être trompeuse. C'est un pays tellement vaste et varié que ses musiques contemporaines ont su donner des allumés de première introuvables en Europe, comme John Cage ou Harry Partch. La question est de savoir si c'est le fait d'un pays conservateur ou d'une culture reposant sur des fonds privés, ceux du cheer man. Contrairement aux pays latins et germaniques, où la culture est un enjeu de service public.

JLT - J'aimerais que vous nous parliez du studio Art Zoyd et de vos deux centres d'activités et d'intérêt : la formation et la production. Comment est née cette partie de l'activité d'Art Zoyd ?

GH - Quand j'étais jeune, il n'y avait ni concert, ni théâtre, aucun accès à la culture, à l'exception d'un petit conservatoire. La création du studio Art Zoyd a permis de mettre en place ce qui n'existait pas à mon époque. Par ailleurs, on ne peut pas vivre en autarcie. Si l'art d'aujourd'hui ne s'ouvre pas à un public plus large et à la formation, il restera cloîtré dans sa tour d'ivoire, réservé à une élite difficile à défendre. Jean Vilar parlait d'un "art élitaire pour tous". La formule me plaît. La musique et l'art contemporain semblent difficiles d'accès ou, pour la plupart, monstrueux, hors normes. On est aussi habitué à l'entendre qu'à voir des éléphants dans la rue. Personne n'en écoute. Il faut donc décloisonner des arts. En ce sens, la musique, associée à une vidéo, une chorégraphie ou à un film, sera certainement mieux accepté. Et le studio Art Zoyd s'inscrit dans cette logique.

JLT - Comment s'est passé votre travail sur Ubique ?

GH - C'était un concours de circonstances. Ce projet est curieusement né très vite. Nous avions commencé, depuis des années, à faire visiter nos studios. Soutenus par les collectivités territoriales et locales, nous avons élargi notre champ d'action. La plus belle aventure à vivre pour un compositeur est de rassembler de jeunes musiciens autour d'un projet très ambitieux. Ce fut le cas d'Ubique. Le travail a duré un an. Nous n'avions aucune idée préconçue. Nous n'avions pas cherché à recréer un ensemble de type " classique ". Les jeunes musiciens qui nous avaient rejoints étaient d'ailleurs, pour la plupart, issus de groupes de jazz ou de rock. Nous avions donc privilégié les batteries, les guitares électriques et les cuivres. Au bout du compte, nous avons obtenu un orchestre symphonique hétéroclite, où les violons, les violoncelles et les contrebasses étaient remplacés par des guitares électriques et des basses, les vents par une section de trompettes, saxophones, trombones et tubas et puis il y avait une section de batteries et de percussions. Cette formation unique et inédite, encadrée par cinq musiciens d'Art Zoyd, ressemblait à un gigantesque maelström d'instruments. Mais un tel orchestre était difficilement déplaçable. Nous avons donc donné un seul concert et un disque a suivi.

JLT - Pourquoi avez-vous créé le Centre Transfontalier de production et de création musicale Art Zoyd ? Est-ce pour essayer de développer cette combinaison entre musique électroacoustique et musique électronique à laquelle vous contribuez ?

GH - Je crois à l'élargissement de l'instrument en général. L'instrument classique conserve, selon moi, sa vérité, mais l'électronique a également sa pertinence. Elle doit désormais sortir au grand jour. Le studio nous a permis de prouver que les musiques électroniques avaient leur place non plus sur bande mais sur scène avec les samplers et que les ordinateurs étaient des instruments comme les autres, capables, notamment, de phrasés. Peut-être sont-ils encore figés ? Ils le sont tout de même beaucoup moins qu'un orgue d'Eglise. Ils sont capables de dynamiques et sont quasiment programmables à l'infini. Même s'ils confèrent à la musique une part de robotique qui m'amuse, ils ne sont finalement pas si déshumanisés. Le seul point faible de la musique électroacoustique réside dans sa diffusion. Elle dépend des hauts-parleurs et le haut-parleur est un encore un appareil préhistorique. Cela dit, il faut bien commencer. Nous ne sommes heureusement plus à l'époque du stradivarius. Les systèmes sont de plus en plus performants. Mais les modes de diffusion sont difficiles à maîtriser. Certaines salles ne sont pas prévues pour accueillir tous les publics. Et ces derniers ne sont pas formés à cette musique. Tout est donc à inventer. Le studio a profité du travail du groupe Art Zoyd qui utilisait de plus en plus de samplers, la bande et délaissait le synthétiseur. Le studio s'est agrandi. Son rayonnement s'est amplifié. Avoir à ma disposition un tel outil et ne pas l'ouvrir sur l'extérieur, me paraissait aberrant. Il fallait donc le faire. Ca renforce les croisements entre les genres, les styles et les artistes. C'était selon moi fondamental. Il fallait, en même temps, éviter de se perdre dans un trop grosse structure et dans un grand nombre d'obligations. Comme vous le voyez, Art Zoyd, depuis dix ans, a donc complètement changé. C'est aujourd'hui une vraie ruche.

JLT - Vous vous êtes associés à des compositeurs comme Luc Ferrarri ou Thierry de May…

GH - Oui. Certaines rencontres furent plus ou moins ponctuelles. Actuellement, nous travaillons avec Horatio Rodolescu et avec des créateurs comme Jérome Pommier ou Jean-Paul Dessy, qui est chef d'orchestre.

JLT - Vous retrouvez-vous dans la démarche du Grame, à Lyon ?

GH - D'une certaine manière, oui. Ils nous ont déjà programmés deux fois dans le cadre de Musiques en Scène. Ils sont nécessaires à l'évolution de la musique électroacoustique. C'est important d'être à la fois créateur et organisateur ou commanditaire.

JLT - Comme vous, ils font venir les compositeurs en résidence…

GH - C'est important. Ce n'est pas un phénomène nouveau. L'histoire de la musique et notamment celle du 20ème siècle l'a bien montré : il est nécessaire pour un compositeur d'expérimenter de nouvelles voies. La plupart ont été tentés, du moins temporairement, par l'organisation de festivals. C'est un bon moyen pour confronter les idées et se remettre en question. En musique, l'échange reste capital.

JLT - Vous soutenez un maximum de six projets de création musicale par an…

GH - Absolument et cela à la demande du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais qui voulait voir notre action s'élargir et soutenir les jeunes créateurs de la région, qu'ils soient musiciens, compositeurs, chorégraphes ou vidéastes. Il serait très intéressant de prolonger l'idée sur un plan national. Nous y arriverons. C'est une question de moyens et d'espaces de locaux. Il faut également rajouter les six projets dits
"internationaux". En accord avec l'ensemble Musique Nouvelle, en Belgique, Art Zoyd souhaite accueillir des compositeurs et créer leurs œuvres, et même ouvrir les portes du studio aux compagnies.

JLT - Recevez-vous beaucoup de dossiers ?

GH - Non, pas beaucoup. C'est dommage. Peut-être est-ce dû au manque de vitalité des artistes ? Cela dit, nous recevons tout de même une dizaine de projets par an. Trois ou quatre sont sélectionnés.

JLT - Comment est prise la décision ?

GH - Collégialement, avec le directeur du Conservatoire de Lille, de l'Aéronef à Lille, un producteur, un chorégraphe, une chorégraphe, un vidéaste - récemment, c'était Pierre-Yves Saurin - et moi-même. Nous sommes donc une dizaine. C'est un système un peu lourd. Mais il a été souhaité ainsi.

JLT - Vous ne pouvez pas trop y échapper…

GH - Nous sommes contraints de fixer certaines règles et de suivre une procédure officielle. En revanche, sur le plan local, nous avons ouvert des formations accessibles à tous. Ce projet concerne plus particulièrement le département et l'agglomération. Le projet d'origine est complètement ouvert et les compositeurs du nord, de Belgique, du Japon ou des Etat Unis sont les bienvenus. L'idée était d'échapper aux écoles. Pour cette raison, les compositeurs sont extrêmement différents. Leur point commun : l'instrumentarium électroacoustique et l'utilisation de la vidéo, à partir de cette année.

JLT - Comment s'est passé votre collaboration avec Dumb Type sur Dangereuses visions ?

GH - Pour ce projet, nous avons seulement travaillé avec leur vidéaste. Il a illustré une pièce de Dangereuses visions. Nous connaissons bien Dumb Type. Ils sont venus plusieurs fois au Festival de Mons et, à chaque fois, nous avions évoqué une future collaboration. Ils ont un univers très personnel. Nous avons également accueilli le compositeur de Dumb Type, pour une pièce instrumentale. Il est venu travailler une de ses pièces pour cordes, composée sur ordinateur aux studios de Art Zoyd.

JLT - Quel regard portez-vous sur la musique techno ? Je pense surtout aux trajectoires d'artistes comme Aphex Twin, Laurent Garnier ou Air.

GH - Je les connais assez mal. J'ai écouté tout récemment des extraits du dernier album d'Aphex Twin. J'en avais entendu parler. C'est difficile d'être au courant de tout. Leur musique m'a parue de bonne facture et très intéressante. Cela dit, j'ai un problème avec la musique techno : ce n'est pas mon rythme cardiaque [rires]. Je suis " tacchychardique ". J'aime quand la musique tourne dans tous les sens, accélère, ralentit. J'aime la répétition mais également la variation. Cela dit, j'aime les œuvres musicales au rythme continu. La pulsation d'Ubique battait sans cesse à 120 par minute. Mais c'est rare : la batterie m'a toujours gênée.

JLT - Pourtant, vous l'avez utilisé dans Ubique

GH - Oui. Mais il y en avait peu. C'était juste un clin d'œil. J'ai toujours eu des problèmes avec les batteurs, les batteries, l'opéra [rires] et…

JLT - …et ?… [rires]

GH - Tous ceux qui se lancent dans l'écriture, quelle qu'elle soit, sont avant tout des malades [rires]. Ils ont beaucoup de soucis.

JLT - D'où vient le mot " zoyd " ?

GH - Ce nom a été trouvé sur le bord d'une scène de concert du Golf Drouot. Le premier nom du groupe était Experimental music. Mais leur producteur ne trouvait pas ce nom-là très vendeur. Il fallait un terme plus en rapport avec " leur musique bizarroïde ". Et, à partir de ce mot, ils ont déliré pendant dix minutes et tous sont tombés d'accord pour appeler le groupe " arzoïde ". Et comme dans les plus belles histoires d'évolution linguistique, le vin aidant, une demi-heure plus tard, le mot est devenu arzöid, avec un tréma sur le " o "…

JLT - Puis le son s'est transformé en " oy "…

GH - Personne ne disait [zöid] mais [zoyd], probablement par assimilation à Pink Floyd. Nous sommes donc passés de " arzoïd " à " artzoyd ". Comme tous les musiciens sont partis l'un après l'autre, personne ne se souvenait de cette explication. Certains fans, à l'époque, avaient imaginé que Zoyd était une planète ou je ne sais quoi… L'origine du nom du groupe a donné lieu à toutes les histoires possibles et imaginables.

JLT - Vous avez en préparation un opéra urbain intitulé Partie de Chasse. De quoi s'agit-il ?

GH - Il y est essentiellement question des chasses, des jambes des filles [rires]. Le mot est ambigu. Au départ, il s'agit d'un opéra " pornologique ". Mais Partie de chasse est vraiment une partie de jambes en l'air, car le projet a du mal à démarrer. Il est pour l'instant fragmentaire. Je ne m'en occupe pas encore. S'il n'y a rien de concret d'ici quelques temps, les musiques seront utilisées pour d'autres choses. Je n'aime pas laisser des créations dans des cartons. J'ai également en vue un opéra portant sur un boxeur. L'œuvre sera courte et fera en toute liberté la part belle aux nouvelles technologies. Il s'agira d'ailleurs davantage de théâtre musical que d'opéra.

JLT - La presse française et étrangère, européenne et américaine ne tarit pas d'éloge sur Art Zoyd. Diriez-vous aujourd'hui que vous faîtes l'unanimité ?

GH - Non. Moins qu'avant, je crois.

JLT - Pourtant, vous allez jouer à l'Auditorium de Lyon….

GH - Plus on élargit les champs d'expériences, plus on prend le risque de se brouiller avec certaines personnes qui aimaient bien une parcelle de notre travail. Art Zoyd quitte de plus en plus l'univers rock pour un autre hors normes. Nous atteignons une sorte de musique frontière. Certains projets comme Expériences de vol ou Dangereuses visions en ont d'ailleurs décontenancé plus d'un. En partie, à cause des mauvaises conditions de concert. Certaines salles ne sont pas toujours bien préparées dans le montage et tous les aspects techniques.

Propos recueillis par Jean-Louis Tallon
Lyon - novembre 2001
 
 
Gérard Hourbette - Photo Horspress
 
Photos : http://epidemic.cicv.fr/geo/art/artzoyd/
 

Gérard Hourbette - Photo Horspress

 



Symphonie pour le jour où brûleront les cités (1976)
Musique pour l'odyssée (1979)
Génération sans futur (1980).
Phase IV (1982)
Les Espaces inquiets (1983)
Le Mariage du ciel et de l'enfer (1985)
Berlin (1987)
Nosferatu (1989)
Marhatonnerre I et II
(1992)
Faust
(1996)
Häxan
(1997)
uBIQUe
(2001)
Metropolis
(2002)


 

 

 

 
 
 
 
 

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