Nombreux
sont les dessinateurs qui, comme Philippe Druillet, Benoît
Sokal ou François Schuiten s'intéressent à
l'infographie et au multimédia, mais rares sont ceux
qui ont réussi l'impossible pari de réaliser une
bande dessinée, au sens classique du terme, c'est-à-dire
au format de l'album, en intégrant subtilement et avec
ingéniosité les techniques les plus sophistiquées
de l'informatique actuelle. Fred Beltran en fait partie. Avec
la série Megalex dont le deuxième tome,
intitulé l'Ange bossu, est sorti en mars dernier,
Beltran poursuit une uvre singulière où
le crayon, l'encre et le pinceau ont été délaissés
au profit de la tablette graphique et de l'ordinateur. En résulte
une uvre hybride où le support le plus artisanal
(la planche de l'album) s'allie à une plastique tout
droit sortie des nouvelles technologies : en somme, une BD en
3D sur surface plane. Rencontre avec ce dessinateur du troisième
type.
Jean-Louis Tallon - Où et quand êtes vous né
?
Fred
Beltran - Le 15 septembre 1963 à Levallois-Perret,
dans l'hôpital anglais [rires].
JLT
- Fred Beltran est votre vrai nom ?
FB
- Oui. Mon prénom complet, c'est Frédéric
mais tout le monde m'appelle Fred. J'ai préféré
signer de " Fred Beltran " au lieu de Beltran, seul,
car il y avait déjà un certain Mickey Beltran.
JLT
- Où avez-vous fait vos études ? Dans la région
parisienne ?
FB
- Oui. Après avoir vécu dans le 17ème
arrondissement de Paris, nous sommes allés habiter
dans une cité de la banlieue-est. J'y ai passé
toute mon enfance et mon adolescence. Pour ce qui est des
études, je n'étais pas un élève
assidu. J'ai atteint la Terminale par miracle mais cela n'a
pas suffi : j'ai raté mon bac ! Ce n'est donc pas très
glorieux.
JLT
- Comment êtes-vous venu à la bande dessinée
?
FB
- Dès l'âge de 6 ou 7 ans, je réalisais
presque chaque année un album de bande dessinée.
Une année, j'étais influencé par Franquin,
l'année suivante par Druillet, etc
Même
si mes BD restaient des sous-produits de gosse, je gardais,
dans mon coin, l'idée de faire un jour de la bande
dessinée. Pour moi, c'était évident.
Cela dit, cela ne m'a jamais empêché de me tourner
vers d'autres domaines comme la musique.
JLT
- Avez-vous été influencé par les classiques
belges ?
FB
- Oui. Mais pas seulement. Par ailleurs, ceux qui m'ont marqué
quand j'étais jeune ne sont pas forcément ceux
qui m'influencent aujourd'hui dans mon travail.
JLT
- Quel est votre premier souvenir de BD ?
FB
- Quand j'avais quatre ans, ma mère dessinait des Lucky
Luke sur de grandes feuilles qu'elle collait ensuite sur les
murs de ma chambre. Je trouvais fabuleux que ma mère
à moi puisse dessiner Lucky Luke ! Ce n'était
pas une dessinatrice professionnelle : elle était mère
au foyer, mais il lui arrivait souvent de dessiner, par plaisir.
Plus tard, j'ai beaucoup lu Astérix, les BD
de Franquin, avant de commencer sérieusement à
m'intéresser à des personnages plus adultes
tels que
Barbarella, par exemple,
dont je piquais
en douce les albums. A la fin des années 60, les BD
ont commencé à devenir plus audacieuses, notamment
chez Pilote. Mais cela ne m'empêchait pas d'être
abonné en même temps à Pif Gadget.
En fait, j'aimais tout.
JLT
- Qu'avez-vous fait après le bac ? Avez-vous suivi
des études de Beaux-Arts ?
FB
- Après mon année de Terminale, j'ai pris une
année sabbatique pour faire de la BD. Courageusement,
je présentais de nombreux projets aux éditeurs.
A chaque fois, tous me recevaient gentiment, mais me disaient
qu'il fallait encore travailler. J'ai donc décidé
d'apprendre à dessiner. Pour cela, je me suis inscrit
à l'atelier Met de Penningen à Paris qui prépare
l'entrée aux grandes écoles. Malheureusement,
je n'ai été reçu à aucun concours
: ni celui des arts appliqués, ni celui des Beaux-Arts
à aucun
Je n'étais pas, je pense, le client
idéal d'une structure scolaire. Mais cette année
d'atelier m'avait tout de même été profitable.
Mon dessin était devenu plus performant. J'ai donc
laissé tomber les études pour réaliser,
à droite et à gauche, des illustrations et à
jouer de la musique pour gagner ma vie. Parallèlement,
chaque année, et toujours dans mon coin, je continuais
à créer une BD. J'ai ainsi réalisé
un album de 44 planches intitulée la Pyramide
bleue, influencée par Jodorowsky - déjà
- et Moebius. Mais l'éditeur me l'a refusé.
J'ai dû ensuite accomplir mon service militaire
une année de perdue, pendant laquelle j'ai tout de
même réussi, dans mes temps libres, à
élaborer un projet de BD. Projet que j'ai terminé
à ma sortie de l'armée. J'ai alors eu la chance
de rencontrer, par un concours de circonstances, un copain
qui travaillait chez Metal Hurlant. Par son intermédiaire,
j'ai proposé mon histoire aux responsables du journal
qui ont fini par l'accepter. Elle ne sera malheureusement
jamais publiée car à cette époque, Métal
Hurlant, qui était au plus mal, a déposé
le bilan. Il me restait alors une solution : convertir cette
histoire, prévue pour quelques pages, en album. Je
l'ai donc délayée afin d'atteindre les 44 planches,
alors qu'elle ne s'y prêtait pas. L'album, intitulé
le Ventre du Minotaure, est néanmoins publié
en 1990. Puis, j'ai travaillé sur les albums "
collectifs " : Noël fripon, Eté
fripon, Dessous fripons, les Franck Margerin
présente
, etc
A la même époque,
j'ai même essayé de mettre au point un projet,
avec les Humanoïdes associées, qui n'aboutit pas.
Et le temps passe
Fin 95, je suis embauché par
l'éditeur japonais Kodansha. Et c'est à cette
époque que je commence à utiliser l'ordinateur.
JLT
- Comment vous est venue l'idée d'utiliser des images
conçues par ordinateur et de les intégrer au
format de l'album ?
FB
- En fait, j'ai toujours été névropathe.
Quand je réalisais des dessins de manière traditionnelle,
je construisais d'abord, sur de très grandes feuilles,
tous les décors : hyper détaillés, avec
la ligne d'horizon, les points de fuite et toutes les perspectives
possibles. En parallèle, je dessinais, sur d'autres
feuilles, mes personnages. Je passais ensuite le tout à
la photocopieuse. Je réduisais la grande épure
à la taille de la planche. Même chose pour les
personnages que j'essayais ensuite, après les avoir
découpé, d'ajuster au décor. Je photocopiai
de nouveau l'ensemble sur un papier plus épais que
je travaillais ensuite à l'acrylique. Au final, j'obtenais
ma planche de BD : décor + personnage. Un jour, je
n'ai plus eu accès à ce photocopieur. Un copain
m'a alors expliqué qu'acheter un ordinateur avec un
scanner et une imprimante coûtait moins cher que mon
système artisanal et que je pourrais continuer à
faire la même chose. C'était en 1994. L'outil
m'a passionné. Mais je ne pensais pas au départ
m'en servir autrement que pour réduire ou agrandir
mes décors et mes personnages.
JLT
- Pourquoi aviez-vous recours à tout ce stratagème
? Il n'y a pas que la névropathie
FB
- L'épure d'un décor comporte des traits de
construction en grande quantité. C'est un merdier pas
possible ! On peut avoir des scrupules à cacher un
détail de ce décor par un personnage. Ca peut
même en gêner la construction. Je séparais
donc de manière artisanale le décor des personnages,
comme je le fais au fond maintenant - avec une technique toute
différente - pour Megalex. J'étais déjà
rentré dans la logique du copier/coller. Chaque élément
d'une image était pour moi comme un objet à
part. Je photocopiais le crayonné sur un papier que
je travaillais à l'acrylique. J'avais donc déjà
intégré le fait de pouvoir corriger ou effacer
mon travail autant de fois que je le voulais car l'acrylique,
au contraire de la gouache, permet de s'y reprendre à
plusieurs fois, tant qu'on n'est pas satisfait du résultat.
J'étais donc déjà dans la logique qui
me préparait à l'ordinateur.
JLT
- Comment travaillez-vous aujourd'hui ? Réalisez-vous
encore des crayonnés sur le papier ?
FB
- J'effectue un rapide story-board, avec le texte des bulles,
pour mettre en place les éléments du récit
et éviter de revenir sur le scénario. Mais ça
reste succinct. Mes croquis sont très sommaires. C'est
en quelque sorte mon pense-bête. A partir de ce story-board,
je fabrique tous les décors en 3D, comme si je le fabriquais
en balsa. Je travaille sur la circulation des personnages
: par où vont-ils rentrer ou sortir ? quel angle vais-je
choisir pour construire mon image ? J'obtiens ensuite des
pages avec l'ensemble des vignettes remplies des décors,
mais vides de personnages. Cette page entière devient
mon image. Je travaille à partir d'une planche complète
et non pas vignette par vignette. Sur cette image, devenue
mon papier virtuel, je dessine mes personnages directement
à la tablette graphique. J'ai essayé de les
dessiner d'abord sur papier, de les scanner et des les incorporer
à la planche. Mais la meilleure solution fut de les
dessiner directement sur le décor. Elle est la seule
à permettre une véritable interaction et à
créer une symbiose entre personnages et décors.
JLT
- Vous n'utilisez donc quasiment plus le papier à l'exception
du travail préparatoire
FB
- Absolument.
JLT
- Y a-t-il une différence entre les deux premiers tomes
de Megalex ? Avez-vous procédé avec la
même technique ?
FB
- Oui, même si l'on évolue toujours. Pour le
deuxième tome, le procédé d'impression
est plus fin. J'ai augmenté la définition de
mes images et changé de logiciels. Mais la méthode
est restée la même.
JLT
- Pourquoi ne pas vous être définitivement tourné
vers l'informatique et le CD Rom? Pourquoi avez-vous décidé
de rester sur le format de l'album et la BD ?
FB
- Travailler pour Kodansha dans le multimédia m'avait
placé face à un champ immense de possibilités,
sans aucune limite. On peut tout faire avec un ordinateur.
Quand j'avais sept ans, je m'imaginais être le maître
du monde avec mon crayon et une simple feuille de papier.
Je pouvais m'inventer mon propre univers. L'ordinateur donne
aussi cette impression là. Si je veux représenter
une enfilade de bâtiments, du premier à l'arrière
plan, je peux le faire. Même si, par la suite, j'aurais
des problèmes pour les placer sur la planche [rires].
Cela dit, il me paraissait logique, après tous mes
détours " multimédia ", de revenir
à l'album et à la BD.
JLT - Les contraintes de l'album contrebalancent les possibilités
illimitées de l'ordinateur ?
FB
- Ceux qui me connaissaient à l'époque du
Ventre du Minotaure et alors que je travaillais chez Kodansha
me voyaient jouer de la musique, faire de l'architecture,
créer des décors de théâtre, réaliser
des illustrations, que sais-je encore? Tous m'encourageaient
à me concentrer sur un seul domaine. Ma démarche
ne les incitait pas à travailler avec moi. L'ordinateur
m'a permis de réunir toutes mes passions : musique,
mise en scène, architecture
Mais il me fallait
un sujet pour organiser l'ensemble, voire un support. Et je
trouvais intéressant de lier tous ces domaines avec
le livre, de lier le virtuel au tangible. Megalex est
un point de départ. Une fois que la série -
qui comprendra au total quatre albums - sera achevée,
on pourra songer à d'éventuels prolongements.
JLT
- Comment est née votre collaboration avec Alexandre
Jodorowski ?
FB
- J'ai rencontré son fils qui jouait dans un groupe
en première partie du mien. Ce dernier a raconté
qu'il avait croisé un certain Beltran. Jodorowski me
connaissait, paraît-il. On s'est ensuite téléphoné,
puis rencontré à l'époque où je
travaillais encore pour Kodansha. Parallèlement, les
Humanoïdes Associées voulaient me faire travailler
avec lui, ce que je souhaitais au plus haut point. Le destin
a semblé aller dans le sens de notre collaboration.
JLT
- Quels éléments vous ont plu dans Megalex
?
FB
- Je voulais de nouveau faire de la bande dessinée.
Je me lassais de ma collaboration avec Kodansha. Entre eux
et moi, il y avait trop de différences culturelles.
J'avais à l'époque imaginé l'histoire
d'une barmaid parisienne à qui il arrivait de nombreuses
aventures. Mais ce projet intéressait seulement les
parisiens qui avaient pu se rendre dans ce genre de troquets.
Quand les directeurs artistiques de Kodansha lisaient mes
histoires, ils me disaient ne rien y comprendre [rires].
Ils voulaient tellement l'édulcorer qu'à la
fin mon histoire ressemblait à Hélène
et les garçons. Je voulais donc vraiment revenir
à la bande dessinée, tout en sachant pertinemment
qu'au fond, je n'étais pas scénariste. Même
le Ventre du Minotaure, que j'avais entièrement
réalisé, m'avait laissé cette impression.
J'aime bien mettre en scène des récits avec
des images mais je ne suis pas habité par des histoires.
Pour l'instant en tout cas. Concernant ma collaboration avec
Jodorowski et Megalex, j'ai simplement réagi
comme le fan de base. Je voulais travailler avec lui, un point
c'est tout. Il n'y a pas eu de calcul particulier. On s'est
rencontré. On a discuté. Il m'a questionné,
comme il le fait d'habitude, pour comprendre qui j'étais.
Il me traitait souvent d'androïde ou de cyborg. J'avais
déjà l'idée de continuer à mélanger
la 3D et la 2D. Mais je ne lui en parlais pas tout de suite.
J'attendais d'avoir l'occasion de réaliser quelques
planches pour lui montrer le résultat. Je suis alors
tombé sur un scénario que Jodorowski avait écrit
pour Otomo, le créateur d'Akira. Je ne savais
pas sur quoi il voulait me faire travailler mais je n'avais
pas hésité à lui faire comprendre que
son projet Megalex me convenait totalement. Et Jodorowski,
ne voyant pas le projet avancer, car Otomo venait de se lancer
dans le cinéma, avait accepté.
JLT
- Où en est le projet Megalex à l'époque
où vous récupérez l'affaire ?
FB
- Le scénario des deux premiers albums était
déjà intégralement écrit.
JLT
- Y a-t-il eu dans la conception finale de Megalex,
des influences cinématographiques, comme Matrix,
par exemple ?
FB
- Non. Je n'avais pas vu Matrix quand je travaillais
sur le tome I de Megalex.
JLT
- Il y a tout de même des similitudes, non ?
FB
- Je vais très souvent au cinéma. Les cinéastes
américains sont influencés par la bande dessinée
européenne ; les artistes européens sont influencés
par le cinéma américain, et ainsi de suite
Tout le monde s'influence. J'ai vu Matrix pour la première
fois après la sortie de Megalex, tome I. Il
se trouve que j'ai failli représenter la fourchette
de contrôle de manière arrondie. C'était
sur mes tout premiers croquis. Mais si j'étais resté
sur ma première idée, tout le monde aurait crié
au plagiat ! Toutes proportions gardées, la situation
aurait pu être dramatique. En revanche, tout le décor,
à la surface de la planète, est - je le dis
sans problèmes - influencé par Star Wars.
C'est évident. En revanche, j'ai seulement vu la bande
annonce de l'épisode II dans laquelle on voit une arène
à la fin. Ce sont, trait pour trait, des croquis que
j'avais réalisés pour une autre BD. Tout ce
jeu des influences est incroyable et, en même temps,
inévitable. Pour ma part, je vois des films et j'absorbe
tout ce que je vois
comme une éponge.
JLT
- Etes-vous tenté par l'aventure cinématographique
?
FB
- En fait, je ne suis pas tenté par la direction d'acteurs
mais par la mise en mouvement et en son d'une image. Est-ce
du film d'animation ? Puis-je trouver le moyen de travailler
en collaboration avec un directeur d'acteurs pour réaliser
un film en séparant le fabricant d'images du directeur
d'acteurs ? Est-ce envisageable ou pas ? Certaines choses
sont à inventer dans ce domaine. Le mouvement des personnages
ne me manque pas trop. Il manque aujourd'hui à mes
images la dimension sonore. J'aimerais pouvoir, un jour, réaliser
une uvre composée d'images sonores dans lesquelles
le public puisse voyager.
JLT
- Vous êtes donc frustré avec Megalex
FB
- Pas du tout. Au contraire. Mais si vous lisez bien les albums,
Jodorowski et moi avons volontairement enlevé toute
onomatopée. Comme il n'y a pas de sons dans Megalex,
la place est libre pour en mettre. Je donne souvent l'exemple
suivant : imaginez le dessin d'une pièce où
un type est allongé sur un lit et où le store
est baissé. Si l'on suggère, par onomatopées,
des gazouillis d'oiseaux en bruit de fond, on plonge l'image
dans une certaine ambiance ; si, à la place, on suggère
le bruit d'une autoroute ou d'un périphérique,
la même image prend un tout autre sens. Je trouve ça
intéressant. La dimension de l'image change selon le
son. Graphiquement, l'image ne suffit pas pour rendre une
scène sonore. C'est impossible. Il faut donc avoir
recours à des procédés du style "
tchip-tchip-tchip " ou " cui-cui-cui ", pour
garder l'exemple du gazouillis d'oiseau. Mais ce n'est pas
ce qui m'intéresse le plus.
JLT
- Quel est l'avantage de réaliser une histoire à
suivre plutôt qu'une histoire complète ? Est-ce
de pouvoir mieux développer une histoire ou de s'assurer
des lecteurs à coup sûr, si l'album a du succès
?
FB
- Tactiquement, les deux raisons sont valables. On ne peut
pas concevoir un album de deux cents pages dont les coûts
de fabrication et le prix de vente ne soient pas élevés.
On fractionne donc l'histoire et on crée une série
ou un cycle d'albums de prix très abordables. Pour
peu qu'on ait envie de dessiner de grandes images, l'histoire
ne tient pas dans un seul album.
JLT
- Comment jugez-vous l'univers de la bande dessinée
actuelle française ?
FB
- Je le connais bien mal. Je ne suis pas vraiment au fait
de son actualité. Je suis simplement content d'être
dans un pays où elle a une vraie place. Dans les dix
meilleures ventes de livres, il y a toujours trois ou quatre
BD. Je trouve ça bien.
JLT
- D'accord. Mais en terme d'esthétique
FB
- C'est variable. Il y en a pour tous les goûts. C'est
bien.
JLT
- Quand vous étiez enfant ou adolescent, y a-t-il des
romans, des ouvrages qui vous aient influencé dans
l'élaboration de votre imaginaire ?
FB
- J'ai toujours beaucoup lu d'ouvrages portant sur l'archéologie
et la physique, et ce dès mon enfance.
JLT
- Pas de romans de science-fiction ?
FB
- Pas tellement. J'en ai lu, bien sûr. Mais le roman
me plaît quand le style me touche. Céline n'a
pas bonne presse - et à juste titre - mais j'ai été
foudroyé par ses livres, grâce au style. Mon
besoin de fictions passe essentiellement par le cinéma.
Je préfère lire " les premiers sumériens
", " Règne animal à la fin du Triasse
" ou les bouquins de Stephen Hawking. Je trouve dans
ces livres-là toute la substance nécessaire
à mon imaginaire. Par ailleurs, j'ai trop souvent cultivé
les fonctions multi-tâches, pour parler comme un ordinateur.
Je ne peux pas me mettre dans un lit ni m'asseoir dans un
fauteuil pour lire un livre sans rien faire d'autre. En revanche,
j'aime regarder un film en jouant de la guitare ou écouter
une émission de radio en dessinant. Je n'ai pas encore
développé le goût de m'immerger totalement
dans un livre pour le plaisir d'avoir une histoire qu'on me
raconte.
JLT
- Peut-être est-ce pour cette raison que vous ne vous
voyez pas scénariste
FB
- C'est certainement lié.
JLT
- Avez-vous en tête de développer des projets
annexes aux bandes dessinées, qui incluraient le dessin
? Je pense notamment aux réalisations de Philippe Druillet
dans ce domaine ?
FB
- Oui. Dès que j'aurais fini Megalex et que
les deux derniers albums se seront matérialisés,
j'aurais un point de départ, une base à partir
de laquelle je tenterais de travailler l'image d'une manière
différente. Un jour, j'expliquai ma problématique
à un ami, féru d'art moderne : comment se balader
dans une image en imposant un sens de lecture au visiteur,
à l'intérieur d'un même espace ? Cet ami
m'a alors répondu : " En fait, tu as envie de
réaliser des installations [rires] ". Et
c'est vrai. Ca m'a semblé évident à l'écouter.
Je voudrais créer quelque chose en rapport avec l'image,
avec visite guidée à l'intérieur d'un
espace mettant en scène des dessins. A la manière
des anciens qui s'appropriaient un lieu pour y peindre des
fresques et qui s'arrangeaient pour que l'on passe devant
tel mur, telle lumière
Ce genre d'interaction
me passionne.
JLT
- Que pensez-vous de la nouvelle trilogie Star Wars
?
FB
- C'est visuellement très beau. Mais je suis dans la
tranche d'âge de ceux qui ont un tel souvenir des épisodes
précédents - ou suivants - que l'on ne peut
être que déçu par cette nouvelle trilogie.
Il lui manque la dimension humoristique et les vauriens pour
citer le personnage d'Han Solo.
JLT
- Comment jugez-vous les résultats cinématographiques
de ce nouveau type de cinéma à base d'images
de synthèse, comme l'Age de glace ou Final
Fantasy ? Est-ce un résultat qui vous déçoit,
pour vous qui êtes parti du dessin ?
FB
- Tout n'est pas parfait. Mais j'aime justement cet aspect
là. C'est en train de se faire. Les techniciens n'en
finissent pas de travailler pour atteindre la perfection.
Je suis enclin à ne pas trop critiquer. Je connais
les problèmes que cela pose. Nous en sommes à
la préhistoire mais tout ceci est fascinant. Je serais
fou si je disais le contraire.
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Propos
recueillis par Jean-Louis Tallon
Lyon - Juin 2002 |
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