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Le second souffle de Blake et Mortimer...
Lui, c'est Ted Benoît. Elle, c'est Madeleine de Mille. Ils sont respectivement le dessinateur et la coloriste des nouvelles Aventures de Blake et Mortimer, parues aux éditions Dargaud. Nous les avons tous deux rencontrés à l'occasion de la sortie de L'Etrange rendez-vous, le onzième épisode de la série créée en 1946 par feu E. P. Jacobs.

Jean-Louis Tallon - Dans quel état d'esprit se trouve-t-on quand on reprend les personnages d'un autre, en l'occurrence Blake et Mortimer d'Edgar P. Jacobs ? Essaye-t-on de faire aussi bien, sinon mieux ?

Ted Benoît - On essaye finalement de réinventer " la même chose ".

JLT - Le dessin de Jacobs est pourtant très contraignant.

TB - Il est classique dans le trait du dessin, expressionniste dans la mise en scène et la couleur. Pour moi, l'expressionnisme était un peu nouveau. Je me suis donc efforcé de dramatiser chaque case, d'être en prise directe avec l'histoire, sans prendre de gants, ni faire dans le second degré. Quand on raconte une histoire, on a d'ailleurs l'impression que certains personnages - les siens ou ceux d'un autre - dictent la marche à suivre. Quand l'auteur décide, en règle générale, l'histoire ne fonctionne pas. Les personnages doivent s'imposer à lui. C'est ce qui s'est passé avec Blake et Mortimer. Et si jamais certains détails nous échappaient à Van Hamme ou à moi, chacun était là pour tirer la sonnette d'alarme.

JLT - Jacobs est connu pour avoir accordé beaucoup d'importance à la couleur. Comment aborde-t-on cette technique en bande dessinée ?

Madeleine de Mille - J'affirme par la couleur le côté dramatique des histoires. Car en général, ils ne sont jamais tranquilles ces gens-là ! [rires] Ils sont toujours réveillés, en pleine nuit, par un mystérieux coup de fil. Ils se reposent rarement.

TB - Pour un ou une coloriste, les séquences les plus difficiles à colorier sont d'ailleurs celles où les personnages sont tranquilles…

MdeM - Absolument. Par exemple, dépeindre une scène qui se déroule dans une cuisine avec les gamelles, les fourneaux et tous les autres ustensiles me prend un temps fou parce que c'est calme.

JLT - Ted Benoît, est-ce une expérience frustrante d'avoir repris des personnages qui ne vous appartenaient pas ?

TB - Non. Ce peut être frustrant si l'on ne dessine que ça.

JLT - N'est-ce pas une chance pour vous deux de conquérir un lectorat plus grand ?

TB - Oui, même si elle ne s'est pas encore concrétisée. Je ne dessine pas d'autres séries et mes albums précédents sont un peu tombés dans l'oubli. Si je les réédite, la chance se concrétisera certainement davantage [rires].

JLT - Etre coloriste, Madeleine de Mille, n'est-ce pas accepter, bon gré, mal gré, de rester dans l'ombre, de se tenir en retrait vis-à-vis du dessinateur et du scénariste ?

MdeM - Oh, le coloriste, de toute manière, n'est jamais mis en avant. C'est d'ailleurs la première fois dans toute ma carrière que l'on me pose autant de questions sur les couleurs [rires] !

JLT - Comment êtes-vous venus à la bande dessinée ?

MdeM - Pour ma part, j'évoluais déjà dans le milieu de la bande dessinée. Auparavant, j'avais suivi des études de dessin.

JLT - Quant à vous, Ted Benoît, vous avez été influencé, je crois, par le cinéma…

TB - Oui, il y a eu pour moi une période de flottement. Je ne savais pas trop quoi faire. J'ai débuté dans ce qu'on appelait à l'époque la presse underground. Il y avait d'un côté, vers la fin des années 60-début 70, la bande dessinée officielle représentée par les magazines Tintin, Spirou, Pilote, et leurs descendants Métal Hurlant, Fluide Glacial, de l'autre, une presse, plus confidentielle, qu'il ne faut pas assimiler aux fanzines. Ils n'en avaient pas du tout l'esprit. Ils ne parlaient pas uniquement de bande dessinée. A la même époque, j'ai découvert les BD américaines de Crumb ou de Shelton, notamment. C'est pourquoi j'ai souvent changé à la fois de style et de casquette. Par la suite, j'ai rapidement éprouvé l'envie de me lancer dans la bande dessinée d'aventure, avec de vrais récits, des histoires structurées. Je suis donc entré dans des journaux plus connus, comme L'écho des savanes ou Métal Hurlant.

JLT - Pourquoi vous êtes-vous senti proche de la ligne claire à un moment où vous auriez pu être davantage attiré par un dessin un peu moins " sage " ?.. C'était l'époque…

TB - L'influence du cinéma américain m'a donné envie de raconter de longues histoires, reposant sur une bonne intrigue. Ce que le magazine A suivre avait appelé des " romans ". J'adorais faire ça, même si à l'époque je n'étais pas un dessinateur très habile. Je ne parvenais pas à réaliser de grands beaux dessins… D'autre part, j'avais l'exemple des albums de Tintin qui comprenait, chacun, une histoire de soixante-deux pages avec une douzaine de vignettes par planche et beaucoup de dialogues. C'est-à-dire une histoire rythmée comme un film. Il y avait une histoire riche qui se rapprochait du cinéma. C'était ce que je voulais faire.

JLT - Et, comme Hergé, vous avez été attiré par le roman américain, l'art américain, Hopper, notamment…

TB - Oui, mon inspiration, c'était l'art américain. La technique, c'était celle d'Hergé…

JLT - Pourquoi avoir choisi les années 50 comme toile de fond de vos nouvelles aventures de Blake et Mortimer L'Affaire Francis Blake et L'Etrange rendez-vous, à l'inverse d'Edgar P. Jacobs qui soulignait, au fil des albums, dans les décors, les vêtements, les appellations, les multiples références, l'évolution de la société et du monde dans ses histoires ? Ainsi, Les 3 formules du prof. Sato se passent manifestement pendant les années 70…

TB - Nous sommes les dessinateurs de la seconde génération. Van Hamme et moi avons pris du recul par rapport aux histoires que l'on trouve chez Tintin ou Blake et Mortimer. Nous avons abouti à cette réflexion commune : Jacobs s'était trompé. Mais il ne pouvait pas faire autrement. A son époque, c'était comme ça. Il ne devait certainement pas se poser la question. En 1967, il commence à dessiner Le Piège diabolique : son histoire se déroule donc en 1967. Même chose pour Les 3 formules : la scène se situe en 1975 parce qu'au moment où Jacobs dessine l'album, nous sommes en 1975. Et selon nous, les derniers Jacobs étaient d'ailleurs de ce fait moins bons. En effet, ces personnages conçus par un homme d'une quarantaine d'année, au sortir de la guerre, correspondaient à cette période mais étaient devenus au fil du temps anachroniques. Dans les années 70, ils ont l'air de vieux " croûtons " ! Nous avons donc pris le parti de revenir aux années 50 car il semblait plus plausible de faire vivre Blake et Mortimer à cette époque plutôt qu'aujourd'hui.

JLT - Mais n'est-ce pas une manière de réduire le champ des possibilités dans le domaine du fantastique ou de la science fiction ?

TB - C'est possible. Mais alors Blake et Mortimer n'auraient pas pu rester tels qu'ils étaient si nous les avions situés à notre époque.

JLT - Dans l'accoutrement, par exemple ?..

TB - Par exemple. Tintin était habitué à porter des culottes de golf. Dans Tintin et les Picaros, on le voit avec un jean. D'une certaine manière, ce n'est plus le " même " Tintin. Il a vieilli. Le phénomène aurait été identique pour Blake et Mortimer. Soit on changeait les personnages, soit on changeait d'époque. Le dilemne était là. Par ailleurs, même si Blake et Mortimer exprimait avec Jacobs des préoccupations contemporaines, le contexte historique n'était jamais précisément cité. Par ailleurs, une histoire rétro peut tout à fait aborder des préoccupations contemporaines.

JLT - Mais ne craignez-vous pas qu'au fil du temps le lecteur se lasse du contexte de la guerre froide ?

TB - Vous savez, Blake et Mortimer " nouvelle formule " ne durera pas éternellement. Après nous(1), dans quelques années, une quatrième équipe viendra peut-être reprendre le flambeau. Mais à mon avis, les personnages finiront par s'essouffler.

JLT - Comment jugez-vous les adaptations des albums de Blake et Mortimer à la télévision ?

TB - Décevantes. Je ne les ai pas toutes bien regardées. Je n'ai par ailleurs pas compris la nécessité de certaines adaptations. J'avais pourtant adoré celles des Tintin. Ils faisaient vraiment rêver comme les albums avaient pu jadis éblouir les lecteurs. Les dessins animés étaient carrément rétro. Ils avaient ce côté hors du temps et plongeaient le spectateur dans un pays imaginaire… Je ne comprends pas pourquoi l'adaptation des Blake et Mortimer a moins bien fonctionné.

MdeM - Graphiquement, ils n'ont pas trouvé le trait qu'il fallait à l'animation. Les personnages étaient trop rigides.

TB - Oui. De plus, les décors étaient trop chargés. La tradition du dessin animé veut des dessins plutôt simples et des dégradés pour l'arrière-plan. Adapter les albums de Tintin ne posait pas trop de problèmes car les décors sont toujours sobres dans les albums. Mais dans le cas des Blake et Mortimer, les décors à la gouache sont très chiadés. Du coup, l'adaptation était moins facile.

JLT - L'Etrange rendez-vous reprend le thème du voyage dans le temps, déjà utilisé par Jacobs dans Le Piège diabolique. N'y a-t-il pas une contradiction entre les futurs décrits dans ces deux albums ?

TB - Si, bien sûr. A quelques nuances près. Tout d'abord, Mortimer ne voyage pas dans le temps, c'est le futur qui vient à lui. Pour ce qui est de la "contradiction", Van Hamme avance l'idée du paradoxe temporel. Il y a des millions de futurs possibles en fonction des époques. Le futur promis en 1954 n'est pas celui de 1968.

JLT - Quel est votre album préféré d'Edgar P. Jacobs ?

MdeM - La Marque jaune, pour son côté expressionniste.

TB - C'est, d'une certaine manière, l'album le plus parfait.

JLT - Et d'autres comme SOS Météores, notamment avec l'épisode de la disparition du chauffeur de taxi, puis Mortimer qui se lance à sa poursuite, reprenant point par point l'itinéraire de la veille ?..

TB - Moins. Cela dit, quand on se penche sur le travail de Jacobs pour cet album, on l'imagine en train de dessiner, la carte Michelin posée à côté de lui. [rires]

JLT - De vos deux Blake et Mortimer, quel est le plus conforme à votre optique de départ ?

TB - L'Etrange rendez-vous. Même si je manque de recul pour les comparer. De toute manière, les deux albums sont conformes au cahier des charges. J'aime beaucoup dans L'Affaire Francis Blake le voyage de Mortimer en Angleterre, lorsqu'il se rend en Ecosse.

JLT - Comment s'est passée votre collaboration à trois ? Bien, j'imagine ?

TB - Bien, oui. [rires]

MdeM - Ted et moi sommes ensemble depuis vingt-cinq ans [rires]. Ca facilite les choses.

TB - Je ne tenais pas spécialement à travailler avec Madeleine. Vivre ensemble peut faciliter mais aussi compliquer les rapports dans le travail. Pour ce qui est de Van Hamme et de moi, nous venons d'origines différentes dans le monde de la Bande Dessinée. Je n'aime pas tout ce qu'il fait et inversement. Mais nous entretenons une sorte de respect mutuel l'un envers l'autre. On m'avait dit que c'était un grand professionnel, qu'il rendait ses scénarios en temps et en heure, qu'il était un technicien des intrigues impeccables. Moi, j'étais assez bon scénariste sur certains plans, très mauvais sur l'intrigue, mais je savais pousser Jean [Van Hamme] dans ses derniers retranchements. Je me suis alors aperçu qu'il était humain, et non pas seulement une simple machine à produire des scénarios.

JLT - Dans L'Etrange rendez-vous, il est écrit, je cite, que " Mortimer prend un déjeuner tardif à la villa du Dr Kaufman, dont l'épouse s'est absentée pour la matinée après avoir conduit ses enfants à l'école. " Jamais nous n'aurions eu une telle phrase, ni une telle scène dans les anciens Blake et Mortimer. Jacobs ne se serait pas attardé à de telles considérations. Il faisait d'ailleurs rarement apparaître les épouses d'hommes mariés, lorsque ceux-ci l'étaient. A qui doit-on ce genre de modification ?

TB - A Van Hamme. A la manière de Chabrol, il tient à mettre en scène les éléments du quotidien et montrer, par exemple, Blake à table, Mortimer en pyjama, bâillant, mangeant ou, une autre fois, discutant avec son collègue. En somme, avec Van Hamme, la narration prend son temps. J'aime bien.

JLT - C'est assez rare chez Jacobs…

TB - C'est même rare en BD.

JLT - Madeleine de Mille, comment jugez-vous la technique de l'infographie ?

MdeM - Je pense que c'est une très bonne technique. Pour ma part, ça ne m'intéresse pas vraiment de travailler devant un écran. De plus, je ne trouve pas que ce soit très pratique ni dans la préparation, ni dans la durée : colorier toute une bande dessinée à l'écran me semblerait horriblement long.

JLT - Dans une interview accordée à Brussels BD tour, vous disiez, Ted Benoît, n'être pas pour la BD à l'écran...

TB - Ah, non. Je n'y crois pas. Lire à l'écran… Non… Même lorsque vous recevez un e.mail un peu plus long que d'habitude, vous l'imprimez. Pour ce qui est de la couleur, l'ordinateur manque de subtilités dans les nuances.

MdeM - On pense que la machine va plus vite. C'est vrai. Mais elle choisit systématiquement les couleurs. Il n'y a donc ni recherche, ni variation.

Propos recueillis par Jean-Louis Tallon
Novembre 2001 - Fnac Bellecour à Lyon

(1) Ted Benoît évoque l'équipe qu'il constitue avec Jean Van Hamme et Madeleine de Mille et celle composée par Yves Sente et André Julliard, tous deux auteurs de La Machination Voronov, chronologiquement, le deuxième épisode des nouvelles Aventures de Blake et Mortimer publiées par Dargaud

 
Ted Benoit - Photo Horspress
 
 
Madeleine de Mille (photo : horspress)
 
 
Le scénariste
 
 
 
 
Edgar P. Jacobs en 1946
 
 
"Dans les années 70, Blake et Mortimer ont l'air de vieux " croûtons " !" (Ted Benoît)
 
 
L'Affaire Francis Blake, de Jean Van Hamme, Ted Benoît et Madeleine de Mille
 
 

Ted Benoit - Photo Horspress

 

 

 
Les aventures de Blake et Mortimer, c'est aussi...
 
La Machination Voronov -  Editions Dargaud
...La Machination Voronov, d'Yves Sente et André Juillard...
 
En 1987 disparaissait Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer. Trois ans plus tard, en 1990, Bob de Moor terminait la deuxième partie des Trois Formules du Prof. Sato, laissée inachevée par Jacobs. Ce dernier n'ayant jamais interdit que soient repris ses personnages après sa mort, Dargaud publiait en 1996 une nouvelle aventure de Blake et Mortimer, signée par Jean Van Hamme et Ted Benoît, L'Affaire Francis Blake. Quatre ans plus tard, ce fut au tour de La Machination Voronov, mais signée cette fois-ci par Yves Sente et André Juillard. Deux équipes, donc, pour un retour : une stratégie éditioriale astucieuse permettant de sortir par le jeu de l'alternance un Blake et Mortimer très très régulièrement.
 
... mais surtout l'oeuvre d'Edgar P. Jacobs.
 
 
 
Créée en 1946 dans le journal Tintin, la série des Blake et Mortimer d'Edgar P. Jacobs, comprend huit épisodes (soit douze albums) où le fantastique, la science fiction, l'aventure et le mystère donnent rendez-vous à l'étrange :

Le Secret de l'Espadon (1950)
Le Secret de l'Espadon (1953)
Le Mystère de la grande pyramide (1954)
Le Mystère de la grande pyramide (1955)
La Marque jaune (1956)
L'Enigme de l'Atlantide (1957)
S.O.S. Météores (1959)
Le Piège diabolique (1962)
L'Affaire du Collier (1967)
Les 3 Formules du professeur Sato (1977)
Les 3 Formules du professeur Sato, 2ème partie (1992) - dessins de Bob de Moor

Les dates indiquées entre parenthèses sont celles des premières éditions.
 
 

Blake et Mortimer (site officiel)

Blake et Mortimer (site non-officiel)

 

 

 

 

 
 
 
 
 

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