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Lire
avec écrire - Conversation écrite avec François
Bon
Quand
les lectures mènent à l'écriture
Ou comment se joue la relation écriture-lecture ? Réponses
éclairantes et mise au point avec l'écrivain François
Bon, qui vient de publier la pièce de théâtre
Quatre avec le mort et Rolling Stones, une biographie.
Jean-Louis Tallon - Vous écrivez avoir fait la découverte
d'écrivains marquants quand vous étiez au lycée.
Songiez-vous déjà à écrire ? Si
oui, qu'écriviez-vous ? Et quelle idée de la littérature
aviez-vous à cette époque ?
François Bon - Autant que je me souvienne, la passion
à lire a toujours été liée pour
moi à une projection identitaire. C'est dû peut-être
à des hasards, livres comme ceux d'Ernest Perrochon qui
se situaient dans les paysages pour moi alors quotidiens, le
marais vendéen, ou un peu plus tard les récits
de Simenon situés à L'Aiguillon-sur-Mer, les Sables
d'Olonne ou Fontenay-le-Comte. Je n'ai rien gardé de
tout ça, mais à l'époque du collège
je me souviens de débuts de roman écrits dans
d'anciens livres de comptabilité stockés au grenier
du garage, puisque nous habitions au-dessus du garage paternel,
ou de poèmes tapés le soir sur la grosse machine
à écrire Japy dans les bureaux vides. Ça
ressemblait à de la poésie, ou se prenait pour.
Ma chance, immense chance, a été d'être
mis en contact tôt avec la littérature, en particulier
par les livres de prix scolaires, choisis par le professeur
de français. Steinbeck ou Stendhal en quatrième,
auxquels je n'aurais pas eu accès par l'univers familial.
Mais Dickens, Poe, Balzac, Jules Verne, j'y avais déjà
accès par les livres trouvés à la maison
ou chez mon grand-père maternel. Le scarabée
d'or, d'Edgar Poe, lu vers mes 10 ans, dans une reliure
rouge des années 30, est un souvenir fondateur. Ceci
dit, chaque fois que j'ai fait des ateliers d'écriture
en milieu scolaire, j'ai constaté que ces pratiques d'écriture
n'avaient rien de singulier, que bien des jeunes, partout, la
continuent, et c'est essentiel. D'où, accessoirement,
ma réticence aux démarches qui voudraient promulguer
une littérature simplifiée comme vecteur exclusif
des apprentissages, à l'école primaire ou au collège.
JLT - Pourquoi vous êtes-vous tourné vers les
Arts et Métiers et non pas vers les Lettres, après
le baccalauréat ?
FB - L'idée comme quoi les études de lettres sont
un chemin privilégié vers la littérature
tient du préjugé. Elles apprennent à enseigner,
et éloignent de la création, en France tout du
moins. Il n'y a qu'à examiner statistiquement d'où
viennent les écrivains qui comptent. A qui aurait la
passion d'écrire, je recommanderais plutôt les
études scientifiques, la logique, voire les mathématiques
comme Jacques Roubaud, ou la médecine, ou tout simplement
de voyager. Les géographes ont une compréhension
étonnamment complexe du monde. La question annexe serait
plutôt : est-ce que les études de lettres, telles
qu'elles se présentent actuellement, refusant toute idée
de pratique créative de l'écriture, permettent
au moins d'apprendre à bien enseigner ? J'en doute. Leur
division en siècles est une plaie majeure, qui paraît
de plus en plus aberrante.
JLT - Dans quel état d'esprit étiez-vous lorsqu'au
début des années 80, vous décidez de démissionner
de votre emploi ?
FB - A l'époque c'était facile, il suffisait de
rentrer dans une boîte d'intérim pour trouver à
nouveau un job. Une démission ne tirait pas à
conséquence. Et, en quatre ans à Sciaky Vitry,
où nous concevions et installions des machines à
souder par faisceau d'électrons, j'avais fait un chemin
considérable : pouvoir prendre la responsabilité
d'une conduite de chantier en pays étranger. Je suis
parti sur un coup de tête, parce qu'on m'avait refusé
successivement un voyage en Chine prévu de longtemps,
une machine que je venais de passer plusieurs mois à
préparer, et un autre chantier de soudage, sur un bateau
de dépose de câbles sous-marins en mer du Japon.
Sous le prétexte que j'étais un des rares de la
boîte à apprécier les Indes, on voulait
m'y renvoyer une troisième fois. Quand j'ai quitté
cet emploi, j'avais un peu d'argent d'avance, je souhaitais
m'offrir six mois d'études de philo et de cours de violoncelle,
je ne savais pas que ça durerait vingt ans.
JLT - Pourquoi vous êtes-vous alors tourné vers
la littérature ?
FB - Dans ces quatre ans de chantiers, dans l'isolement des
langues étrangères, les villes découvertes,
la vie en hôtel systématique, j'avais déjà
accumulé une douzaine de cahiers de 200 pages Clairefontaine
remplis de notes, d'ébauches - des rêves, des descriptions
aussi, et beaucoup de phrases recopiées. J'avais peu
à peu, en même temps, construit un vrai chemin
de lecture, en particulier grâce à la découverte
de Maurice Blanchot, donc j'étais plus ou moins prêt.
JLT - Vous avez publié votre premier roman, Sortie
d'usine, à vingt-neuf ans. Avez-vous eu des difficultés
à vous faire publier ? Si oui, avez-vous douté
? Quel souvenir gardez-vous de cette période ?
FB - Comme tout le monde, j'ai présenté un manuscrit
non terminé, qui a été refusé, en
particulier par Jérôme Lindon, qui l'a accepté
un an plus tard. De cette année, souvenir de rencontres
importantes, quelques personnes qui m'ont fait accéder,
à travers des détails de mon manuscrit, à
une notion plus concrète du travail. J'ai lu en particulier,
cette année-là, la correspondance de Flaubert,
ça m'a beaucoup aidé. D'ailleurs, le premier chèque
que j'ai touché des éditions de Minuit a servi
à me payer, pour le prix d'un réfrigérateur,
les uvres complètes de Flaubert au club de l'Honnête
Homme, reliées cuir, je les ai toujours. Ce manuscrit,
Sortie d'usine, était tellement loin de ce qui me
préoccupait littérairement, côté
Jabès, Hölderlin, que je savais devoir lui obéir.
Je n'avais pas à douter.
JLT - A partir de quand avez-vous commencé à
vivre de votre plume ?
FB - Comme plus personne n'écrit à la plume, ça
prouve bien que l'expression est plutôt datée.
Pour tous les auteurs que je connais, la situation est plus
complexe. Certains continuent une activité professionnelle,
médecin, enseignant de collège, traducteur, technicien
du téléphone. Pour beaucoup d'entre nous, les
revenus hors littérature, articles, révisions
de scénario, stages de formation, interventions dans
les facs étrangères, permettent d'assurer des
périodes de libre écriture, au moins en dents
de scie. Mais ce ne serait pas bon, je crois, de demander à
ce que nous avons de plus précieux, le livre en cours,
une sécurité alimentaire.
JLT - Avez-vous été influencé par le
Nouveau Roman ? Si oui, par quels écrivains en particulier
?
FB - Je n'aime pas trop le mot " influence ". On phagocyte,
on cannibalise. Il y a à faire toute une remontée
dans l'amont de la langue. C'est long et difficile, mais obligé.
En terminale, on lisait tous Robbe-Grillet ou Burroughs. Claude
Simon et Samuel Beckett, quand j'ai commencé à
vraiment travailler l'écriture, ont plus tard été
des découvertes importantes, en particulier parce qu'ils
mettaient en avant, dans une période qui poussait à
l'inverse, la part non intellectuelle du travail d'écriture,
la sauvagerie physique qu'il comporte. Mais Julien Gracq ou
William Faulkner ont compté largement autant. Je crois
que personne, depuis 1922, n'est sorti du champ de tension ouvert
par Marcel Proust et Franz Kafka. C'est eux aujourd'hui encore
qu'il faut lire d'abord.
JLT - Quel élément déclenche chez vous
l'envie d'écrire ?
FB - C'est toujours obscur, et tant mieux. Je ne me force pas
à l'écriture. Je suis capable de passer de longs
mois sans projet d'écriture, même si je lis, je
note, j'expérimente : les ateliers d'écriture,
s'ils sont la rencontre d'un réel inconnu, aussi bien
via une école d'art qu'auprès de sans-abri, sont
une école formidable. Et puis il y a ce basculement.
C'est imprévisible, et ça pourrait être
angoissant puisqu'on ne sait même pas s'il se produira
jamais à nouveau. Il s'agit de travailler pour être
prêt, pour tenir dans l'arrachement. Ça tient parfois
du piétinement immobile.
JLT - Où et quand écrivez-vous ? Avez-vous des
moments privilégiés ? Des lieux ?
FB - Depuis toujours, c'est le matin, en supprimant la dernière
phase de sommeil. Ça peut être très bref,
lorsqu'il s'agit du premier jet. Quarante minutes, et puis ne
plus rien faire jusqu'au lendemain. Donc en général
je travaille le matin de 5 heures à 8 heures, ça
laisse du temps ensuite pour autre chose. Pour le lieu, autrefois
c'était devant le cahier, maintenant, c'est devant l'écran
du portable. Peu importe qu'il soit posé sur une table
de cuisine ou sur la tablette d'un train.
JLT - Vous venez d'obtenir le prix Louis Guilloux pour Mécanique.
Que pensez-vous des prix littéraires ?
FB - Je ne pense pas des prix littéraires.
JLT - Y a-t-il des écrivains contemporains dont vous
vous sentiez proche, littérairement parlant ?
FB - Oui, bien sûr, et je crois qu'on est nombreux à
le vivre bien plus positivement que dans les années 70-80,
où chaque groupe était lié à une
revue ou un éditeur. Il y a des amitiés transversales,
des travaux qu'on suit, des gens dont on se demande vraiment
comment, dans la configuration actuelle de l'uvre, pourra
se jouer la prochaine carte. Et c'est indépendant de
l'âge, de la génération. On pense et repense
aussi beaucoup aux rencontres manquées : Koltès,
on ne s'est parlé qu'une fois, quelques mois avant sa
mort. Bizarre comme l'importance de Georges Perec, aussi, grandit
depuis sa disparition.
JLT - Comment avez-vous rencontré Pierre Bergounioux
?
FB - Comme pas mal d'autres, parce que de temps en temps, rarement,
un livre vous touche très fort alors on écrit
à l'auteur. Et ça peut aller, encore plus rarement,
jusqu'à cette fraternité.
JLT - Vous lisez beaucoup. Ne pourrait-on pas dire qu'il y a
un moment où il ne faut plus lire pour écrire
? Et que trop lire peut bloquer l'écriture ?
FB - Quelquefois on doit justement lire, ou s'abrutir d'autre
façon, pour bloquer l'écriture, parce que ce n'est
pas mûr, qu'il faut l'attente, la compression. Le chemin
des lectures aussi est obscur, et vous commande sans qu'on sache.
Je ne sais pas si je lis beaucoup. Effectivement, dans les périodes
d'écriture, la lecture s'assèche, ou se transporte
vers une vieille habitude, relire Saint-Simon par exemple. A
d'autres périodes, en particulier entre les livres, on
se laissera aller à plus farfouiller, à s'offrir
une cure Balzac ou une cure Montaigne.
JLT - Qu'est-ce que vous attendez de la lecture d'un livre
?
FB - C'est après coup que ça se révèle.
Au moment où on lit, on ne le sait pas. Ça vous
prend, c'est tout. Quelquefois, ce qui se révèle
est un secret très simple. Pas plus parfois qu'un tout
petit détail de rythme. Certaine nuance de couleur dans
le chant. Un cadrage du réel. Relisez là-dessus
l'article de Proust sur Gérard de Nerval.
Entretien
réalisé par mail
Réponses rédigées par François
Bon
Août 2002
Mise en scène : Charles Tordjman avec : Aude Briant, Claudie Guillot et Jean-Baptiste
Malartre scénographie : Vincent Tordjman lumières : Christian Pinaud collaboration artistique : Yedwart Ingey
Aux
éditions de Minuit Sortie d'usine, roman, 1982 le Crime de Buzon, roman, 1986 la Folie Rabelais, essai, 1990 Parking, 1996
Aux éditions Verdier l'Enterrement, récit,
1992 Temps machine, récit, 1993 Prison, récit, 1997 Mécanique, récit, 2001 Quatre avec le mort, théâtre,
2002
Aux éditions Fayard Rolling stones, une biographie,
2002
A
découvrir absolument, le site animé par
François Bon : www.remue.net
En ligne, outre des informations sur sa vie et son oeuvre,
remue.net vous donnera des renseignements sur les ateliers
d'écriture, animés par François Bon,
et d'excellents articles sur la littérature contemporaine.