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Entretien avec Philippe Druillet

Hors press - On vous trouve un peu partout. Vous revenez cette année avec la BD Chaos. Vous faîtes en même temps des Cd Rom, de la sculpture… J'aimerais savoir comment vous définiriez votre profil actuel.

Philippe Druillet - Mon profil actuel pourrait se définir par un profond embarras. Et celui-ci est lié au temps. J'ai arrêté la bande dessinée en 1986 car je ne voulais plus en faire. J'avais fait 14 albums et je ne pensais plus rien inventer de nouveau. J'étais sec ! Je me suis alors lancé dans d'autres domaines, dans l'image de synthèse, notamment sur laquelle j'ai travaillé pendant quatorze ans. Le problème, c'est qu'aujourd'hui tout arrive en même temps et me pousse à laisser des choses de côté. J'adore peindre. Ca fait partie de ma vie. Mais depuis deux ans, je n'ai pas fait une seule toile. J'ai dû terminer Chaos, j'ai travaillé sur la série télé, Xcalibur, qui sera diffusée au plus tard au début de l'année prochaine sur France 2 et Canal Plus, un long métrage en 3D tiré de mon album Salammbô est prévu… Je ne ferais que ça pendant deux ans. Et puis il y a la sculpture… Bref, il me faut de plus en plus gérer le travail et jongler avec le temps. Heureusement, je travaille assez vite !

HP - Ca ne se fait pas au détriment de la qualité ?

Ph. D - Non. Ce sont des territoires différents et complémentaires. Mais tout ça, c'est un peu la stupidité du monde actuel. On rame pendant quinze ans. Tout le monde vous ferme la porte au nez. Et puis, tout d'un coup, au même moment, il y a cinq personnes qui veulent travailler avec vous et ça donne pour moi cette accumulation de projets : le spectacle des Baux de Provence, la suite du Cd Rom du Ring, le Salammbô en 3D, la BD, plus le reste… Mais il y a pas de dispersion. Tout cela forme un ensemble homogène. Et c'est passionnant !

HP - Je viens de lire Chaos qui fait suite aux autres épisodes de Lone Sloane. On a l'impression que plus vous évoluez dans la BD, plus vous semblez vous éloigner de structures narratives classiques. Et avec Chaos, on dirait que vous êtes passé un cran au-dessus. C'est plus une suite cohérente de tableaux qu'une BD au sens classique du terme…

Ph.D - Vous savez, " le sens classique du terme ", je l'ai balayé depuis longtemps. Mais avant moi, je citerais deux grands de la BD : Fred et, un peu plus loin de nous, au XIXème siècle, Winsor McCay, avec Little Nemo qui avait déjà bouleversé la mise en page. En fait, je compose mes pages comme un architecte. Je suis très " graphique ". J'aime la mise en scène : on pose le cadre ou la caméra au bon endroit, avec le bon angle ; et j'aime la mise en page : on y revient toujours : les cases qui se suivent… Ca m'a toujours captivé, notamment quand j'ai dessiné Nosferatu ou Les Wuzz en 1973. J'avais alors adoré construire une narration différente. A l'époque, je dessinais comme Crumb : à 200 à l'heure ! J'attaquais les pages directement, pratiquement sans crayons, comme une écriture automatique. C'est là que j'ai forgé ma marque de fabrique. Je suis esthète, un peu architecte, " déco " et, pour moi, composer une page, c'est trouver des angles différents et délirants. Avec Chaos, il y a eu autre chose. Mes quatorze ans passés sur l'infographie m'ont amené à évoluer dans la mise en page : les icônes, les sélections d'image sur l'écran, etc… Ce sont des choses que j'ai reprises dans mon dernier album.

HP - L'infographie a apporté une révolution dans votre travail ?

Ph. D - Une évolution, plutôt, qui m'a aidé à revenir à la BD. Il me fallait mûrir de nouvelles sensations, que le bonheur revienne et tous ces travaux annexes sur l'infographie m'ont fait porter un nouveau regard sur la BD. Et c'est vrai que ça a donné avec Chaos une narration très spéciale, très " druillesque " qui me correspond totalement. Druillet, c'est pas Tintin ! Tous mes albums sont composés avec des maquettes précises, des respirations, des montées en puissance, des redescentes et seul l'album permet ça.

HP - Vous avez travaillé sur le Wagner Space Opera et sorti en 1998 le Cd Rom Le Ring. Pourquoi Wagner ?

Ph. D - Wagner reste pour moi un personnage très ambigu et un peu détestable, pour sa personnalité et pour ce qu'on en a fait entre 1940 et 1945. J'ai découvert sa musique quand j'avais quinze ou seize ans et j'ai commencé à travailler sur un projet autour de Wagner en 1973. Wagner, c'est quoi ? De la musique de film. Je vais reprendre ce que j'ai dit pendant les campagnes de presse quand j'ai présenté le Cd Rom il y a deux ans. J'avais expliqué que les grands musiciens hollywoodiens comme Max Steiner, Nichlaus Kosza ou encore John Williams aujourd'hui se sont tous inspirés de Wagner. Et si celui-ci était vivant aujourd'hui, il ferait certainement de la musique de film. N'oubliez pas que l'opéra au XIXème siècle, c'était du spectacle, le cinéma d'aujourd'hui, avec des effets spéciaux, des machineries incroyables ! Et adapter la Tétralogie (1) de Wagner en Cd Rom, c'était restituer au public un monde musical complètement fou qui n'est plus aussi accessible qu'avant, car l'opéra est devenu très élitiste alors qu'il y a un siècle, c'était un art très populaire.

HP - Pourquoi avoir attendu 1998 pour réaliser cette œuvre à partir de Wagner ?

Ph. D. - Tout simplement, parce que tous les projets que j'avais lancés ont échoué. En 1973, il y en avait eu un pour le Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles ; un autre, de 1978 à 1981, à l'Opéra de Paris avec Rolf Lieberman, où on voulait créer un spectacle polyvalent, une version héroïc-fantasy de l'univers de Wagner, un rhabillage complet, et, enfin, un dernier en 1982, avec un film qui n'abouttira pas non plus. Wagner a mis 25 ans pour écrire sa Tétralogie. Il était normal que j'attende 24 ans pour adapter ses œuvres.

HP - Vous écoutez de la musique en travaillant ?

Ph. D - Oui, beaucoup. C'est capital. D'une certaine manière, mon dernier album Chaos est musical.

HP - Et vous avez écouté quoi en le dessinant ?

Ph. D - Oh, c'est toujours la même sauce " druillesque ". De l'opéra à forte dose, du hard rock, du rock, des musiques ethnographiques, africaines, japonaises, du Erik Satie, vers 19 h, et la nuit je me passe de la musique plus sauvage, etc… J'ai besoin de musique pour bâtir des histoires, trouver des idées, exécuter un travail disons " artisanal ", peindre ou faire de la BD. J'écoute évidemment aussi la radio. La musique est une ossature et me donne une structure. Et particulièrement pour Chaos. Comme pour La Nuit, d'ailleurs, même si ce sont deux albums différents dans la dramaturgie. La Nuit est une BD terrible… C'est l'album-culte des hard-rockeux français et internationaux, une référence rock et trash… Dans son déroulement, Chaos est plus musical. C'est une partition. Il y a même le personnage de Legend qui est une chanteuse. On pourrait presque écrire une musique sur l'album, c'est parfaitement évident.

HP - Il n'y a pas que la musique qui vous inspire, la littérature aussi. Vous avez notamment adapté Salammbô de Flaubert. Vous n'auriez pas envie d'adapter une autre œuvre littéraire ?

Ph. D - Non. Et pourtant, on m'a demandé d'adapter toutes sortes d'ouvrages. La Bible, notamment ! Salammbô, c'était autre chose. Philippe Koechlin, rédacteur en chef de Rock'n Folk m'avait proposé d'adapter ce livre et j'avais trouvé que c'était une bonne idée. Salammbô est un livre de cinéma et de folie, un roman d'odeur, de senteur, de matière… C'est d'ailleurs aussi ce qui m'a poussé à y revenir une nouvelle fois pour en faire un long métrage. Cela dit, la littérature m'a toujours passionnée, que ce soit en science-fiction ou même en poésie. Dans Chaos, par exemple, j'ai rendu hommage à un certain nombre de poètes dont je connaissais les œuvres depuis plusieurs années a travers les chansons de Léo Ferré : Baudelaire, Verlaine, Apollinaire, Rimbaud, Aragon… Dans Chaos, j'ai cité des vers entiers. Du même coup, ça m'a permis de saluer Léo Ferré grâce à qui j'ai appris, comme beaucoup, la poésie. Il a livré cette culture au grand public.

HP - Le cinéma ne vous a jamais tenté ? Réaliser un vrai film avec de vrais acteurs ?

Ph. D- Si, bien sûr. J'ai essayé. J'ai toujours flirté avec le cinéma. Mais maintenant, c'est fini. Il y a une chose intéressante dans ce domaine. Pendant des années, la BD a tourné autour du cinéma et inversement. On n'est jamais arrivé à se comprendre, les uns piquant les idées des autres. Le problème, c'est qu'en France personne ne mettra 500 millions de francs sur un film de Druillet. C'est réservé à d'autres réalisateurs. En revanche, qu'est-ce qui va aujourd'hui nous rejoindre, nous dessinateurs, d'une façon magnifique ? L'infographie. Le budget de Salammbô, c'est 55 millions. On peut le faire. Avec une technique de haut niveau. En 3D, il y a d'ailleurs trois films qui se préparent en France actuellement.

HP - Vous avez vu Star Wars Episode I ?

Ph. D - Oui. Très beau. Techniquement, c'est magnifique. Aujourd'hui, le cinéma va vers le numérique. Il n'y a qu'à voir Jurassic Park de Spielberg. Dans le film, il y a un personnage, en voyant les animaux préhistoriques, qui dit " j'ai toujours rêvé de voir ça ". Pour moi, ça résume parfaitement l'apport du numérique dans le cinéma du futur.

HP - J'aimerais enfin que vous nous parliez du spectacle des Baux de Provence.

Ph. D - Ah oui ! Ca, c'est une belle aventure ! J'avais travaillé pour la Géode entre 1993 et 1996 sur une bataille de Salammbô de 10 mn en 3D projeté sur 30 000 m². C'était énorme ! En 1998-1999, les organisateurs des Baux de Provence sont venus me voir et m'ont demandé, dans le même genre, de faire quelque chose d'un peu hors norme pour l'an 2000. Il faut savoir que les baux de Provence, c'est une ancienne carrière, un temple colossal. Depuis dix ans, ceux qui ont en charge ce lieu ont produit de beaux spectacles, très didactiques : l'Egypte, Michel-Ange… Mais pour l'édition 2000, ils ont décidé d'introduire l'univers de mes bandes dessinées dans leur programmation. On a donc tiré 3500 diapos de mes albums qui ont été ensuite retraitées d'une façon numérique avant d'être associées à des sculptures en dur et une musique délirante, par un metteur en scène, dans un spectacle d'art total permanent, à raison de séances d'une demi-heure chacune. On a des cycles où sont mélangées toutes les images de mes bandes dessinées et de mes peintures. C'est donc un univers parfaitement cohérent. On se retrouve devant des diapos complètement folles, projetées dans toutes les directions, sur des murs qui font parfois 20 m de long sur 7 m de haut et incrustés dans la pierre. C'est un vaisseau fantastique pour un voyage de trente minutes. J'y suis allé en août dernier et je peux vous dire que c'est totalement étonnant. Il y a un mélange de cinéma du futur, de Géode… Et le bouche-à-oreille fonctionne.

Propos recueillis par Jean-Louis Tallon
Lyon - Septembre 2000

(1) Il s'agit des quatre opéras l'Or du Rhin, la Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des dieux constituant le cycle de L'anneau, de l'allemand Das Ring

 
 
 
 
 
 
 

 

 

Aux éditions Albin Michel :
les 6 voyages de Lone Sloane
Delirius
Gail
Chaos
la Nuit

Aux éditions Stock :
Salammbô
Salammbô 2 : "Carthage"
Salammbô 3 : "Matho"



Visitez le site officiel de Philippe Druillet
www.chez.com/druillet

 

 

 

 
 
 
 
 

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