Quelques
mois après la sortie d'Hannibal en France, dix
ans après celle du Silence des agneaux, Universal
et la MGM, à quelques jours d'intervalle, ont décidé
de nous livrer ces deux bijoux cinématographiques en
DVD. Un cadeau loin d'être indigeste.
C'est
vrai. Peut-être devrais-je davantage parler de la sortie
exceptionnelle du coffret DVD " Stanley Kubrick : a life
in pictures " contenant, outre un documentaire du même
titre de deux heures sur le réalisateur, les versions
" restaurées et remasterisées
numériquement " de Lolita, 2001 : l'odyssée
de l'espace, Orange mécanique, Barry
Lindon, Full Metal Jacket, Shining et Eyes
Wide Shut : soit sept chefs d'uvre du cinéma
(à l'exception peut-être du dernier
) ?Un
beau cadeau en perspective offert par la Warner en cette fin
septembre
Mais il en était un autre aussi différent
dans sa forme que dans son propos concoctés par la
MGM et Universal, un mois plus tôt. Il s'agissait bien
entendu des deux DVD " collector " du Silence
des agneaux et de Hannibal. Ou, si vous préférez,
l'histoire d'amour hors normes entre la Belle Clarice Starling
et la Bête Hannibal Lecter.
Aux commandes, deux réalisteurs à l'esthétique
sensiblement différente : Jonathan Demme qui assura
l'adaptation de Silence of the lambs - plus clinique,
technique, plus " thriller américain " -
et Ridley Scott qui signa celle d'Hannibal - avec une
mise en scène élégante, soignée,
opératique.
Nous
sommes très loin, dans ces deux films, de l'amour tel
qu'il est plutôt dépeint aujourd'hui au cinéma
: passions vécues jusqu'à l'extrême, tristesse
désordonnée et désanchantée des
sens.
Ridley
Scott parvient en effet dans Hannibal (là où
cela n'avait été qu'amorcé par Jonathan
Demme dans Le silence des agneaux) à définir
un nouveau type d'amour courtois. Reposant ici sur le plus
éloquent, les plus élégant des platonismes.
Où tout passe par le jeu des lettres, des mots mais
surtout des regards (ah ! le plan rapproché de l'il
de Clarice Starling apercevant à la télévision
la silhouette à peine visible, " noir et blanc
", de Hannibal Lecter). Un amour à distance, où
chacun s'effleure, se devine, s'observe, se dévisage,
s'écoute. On se croirait presque dans l'univers de
Roméo et Juliette qui s'aiment sans jamais se
voir. Sauf qu'ici, évidemment, tout est compliqué
par le statut même des personnages.
Clarice Starling est agent du FBI et Hannibal Lecter, ancien
psychiatre, est un tueur en série cannibale. Souvenez-vous
: dans Le silence des agneaux Clarice Starling est
chargée de soutirer des informations à Hannibal
Lecter, alors en prison, pour arrêter un autre tueur
nommé Buffalo Bill. Elle y parvient mais, entretemps,
Lecter s'est évadé... Deuxième épisode
: Hannibal. Dix ans ont passé. Un milliardaire
nommé Mason Verger (composition surprenante de Gary
Oldman) veut se venger du docteur Lecter et s'arrange pour
que Clarice Starling reprenne l'affaire. Mais le célèbre
cannibale, qui s'est refait une carrière à Florence,
veille.
Cette suite, si elle laisse le côté effrayant
du personnage d'Hannibal qui pouvait à la fois fasciner
et terroriser dans Le silence des agneaux, met en évidence
l'ambivalence du personnage-cannibale, faisant de lui une
sorte d'esthète-justicier : dans Hannibal, il ne s'en
prend qu'aux personnes méprisables, corrompues, sans
honneur ; il se révèle un fin connaisseur de
la culture italienne, un spécialiste de Dante, un amoureux
des intérieurs cossus, de l'opéra. On pourra
regretter que Ridley Scott verse davantage dans ce que certains
qualifièrent le grand-guignolesque (notamment avec
la scène du cerveau
), par comparaison à
Jonathan Demme qui plantait une histoire dérangeante
où le spectateur se sentait mal à l'aise, que
ce fut avec l'un ou l'autre tueur en série.
Deux volets, donc, bien opposés dans les styles et
dans les interprétations puisque si Jodie Foster incarnait
Clarice Starling dans Le silence des agneaux, c'est
Julianne Moore qui reprend le rôle dans le deuxième
volet. Si bien que l'on se demande quel élément
peut réunir les deux histoires. Si ce n'est l'interprétation
délicieuse de Sir Anthony Hopkins. Dont le jeu, à
dix ans d'intervalle, semble aussi bien se conformer à
l'esthétique de Jonathan Demme qu'à l'art pompier
de Ridley Scott, semble servir avec une finesse et une subtilité
sans égale les propos à double tranchant d'Hannibal
Lecter.
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