Charles
Juliet : " Il y a, en moi, une passion pour la vie. "
Ses réponses sont brèves, presque
silencieuses. Ses réflexions graves mais percutantes.
Dès l'âge de 23 ans, écrire devint pour
Charles Juliet un besoin obsessionnel. Le besoin de libérer
l'être passionné qui était en lui, mais
" qui était empêché d'être
" ; le besoin de se mettre en ordre, de " trouver
la source " en reconstituant les fragments de son être.
De cette traversée, en solitaire, de cette nuit existentielle
difficile, douloureuse, souvent destructrice, Charles Juliet
a tiré des textes d'une rare beauté, tels son
Journal, Lambeaux ou Ce pays du silence,
dont la portée universelle en fait l'une des uvres
les plus importantes de la littérature française.
Entretien "à voix basse"
Jean-Louis Tallon - Est-ce un danger de se confier, de livrer
ses sentiments par oral ? Ne risque-t-on pas de s'éparpiller
? Je pense à cette phrase de Lambeaux : "
Tu es gênée d'avoir trop parlé, d'avoir
laissé entrevoir ce que tu tenais caché ".
Charles
Juliet - Non. On peut bien dire ce qu'on est en partie. Nos
confidences ne peuvent pas l'épuiser. Concernant cette
citation, peut-être avais-je en tête un moment,
une soirée où j'avais trop parlé, et
je n'aime pas ça. Ce n'est pas tellement moi, ni dans
ma manière. J'ai donc écrit cette phrase sur
le coup. Mais, on peut parler bien sûr, sans risquer
d'entamer ce que l'on porte en soi.
JLT
- On vient de décerner le prix Goncourt à Jean-Jacques
Schuhl. Que pensez-vous des prix littéraires ?
CJ
- Très franchement, je suis très loin de cette
vie littéraire. Bien souvent, les traficotages d'éditeurs
semblent prévaloir sur la qualité d'un livre.
C'est gênant. Il est toujours triste de penser que de
bons livres vont peut-être passer inaperçus et
que d'autres sont distingués alors qu'ils ne l'auraient
peut-être pas mérité.
JLT
- Comment jugez-vous la surmédiatisation des écrivains
aujourd'hui ? Je pense par exemple aux cas de Christine Angot
et de Michel Houellbecq par comparaison à deux poètes,
Samuel Beckett, que vous avez connu, Henri Michaux, peu photographié,
ou encore Julien Gracq
CJ
- Vous mettez sur le même plan des écrivains
qui ont une uvre et d'autres qui bénéficient
d'un succès de scandale. Il faudrait savoir où
ces derniers en seront dans vingt ans. Là, on pourra
avoir une vue plus objective des choses.
JLT
- Pensez-vous que l'écrivain se perde en étant
médiatisé ? Vous-mêmes, comment avez-vous
vécu les émissions de télévision
auxquelles vous avez participé ?
CJ
- Je les ai vécues avec simplicité et distance.
Je ne me suis pas senti dérangé. Ca n'a bouleversé
ni ma vie, ni mon cheminement.
JLT
- Vous n'avez pas éprouvé de difficulté
de revenir à vous-même ?
CJ
- Non.
JLT
- Il y a tout de même dans cet exercice une sorte de
dédoublement
CJ
- Oui, mais c'est l'affaire d'une demi-heure. Cela ne va pas
tout changer.
JLT
- Pourquoi êtes-vous resté sur Lyon ? Est-ce
pour vous protéger de tout cela ou par attachement
à une région ?
CJ
- Non. Je n'ai jamais souhaité aller à Paris.
J'avais besoin de rester à l'écart, de vivre
dans la solitude. Par ailleurs, si l'on écrit vraiment,
on peut bien se trouver n'importe où et être
toujours bien là où on se trouve.
JLT
- Vous vous rendez, paraît-il, souvent dans les librairies
de Lyon. Est-ce une manière de vous retrouver dans
un monde familier, celui des livres, ou tout simplement pour
voir les nouveautés ?
CJ
- Auparavant, je m'y rendais plus souvent. Maintenant, j'ai
moins de temps. Aujourd'hui, j'y vais surtout pour acheter
tel livre et moins pour flâner.
JLT
- Lisez-vous beaucoup ?
CJ
- Je lis encore assez, mais moins que par le passé.
J'ai moins de temps. Je travaille plus. Il se passe plus de
choses autour de moi. Cela dit, j'éprouve toujours
le même désir de lire.
JLT
- Comment vous est venu, à 23 ans, le goût de
l'écriture ?
CJ
- C'était un besoin extrêmement fort, tout à
fait impérieux. Il est arrivé un moment où
je ne pensais littéralement plus qu'à cela.
C'était une obsession permanente, de chaque instant.
Ce besoin d'écrire - je l'ai compris bien plus tard
- était évidemment lié à mon histoire
personnelle, à la nécessité de mettre
de l'ordre en moi, d'élucider certaines choses, de
dénouer des conflits. Ce besoin d'écrire faisait
partie intégrante de tout ce que j'étais profondément.
JLT
- Pourquoi commence-t-on par écrire un journal intime,
plutôt qu'un recueil de poésies ou un roman autobiographique
?
CJ
- Ecrire un Journal n'était pas un choix.
JLT
- La forme s'est imposée
CJ
- Il me fallait travailler sur moi, me connaître et
me mettre en ordre. Un certain nombre d'exigences se sont
manifestés et m'ont poussé à écrire
un Journal. Mais au départ, je n'ai rien décidé.
JLT
- Vous n'avez rien publié jusqu'en 1978
C'était
par volonté ou par doute ?
CJ
- J'ai traversé une longue crise. Je travaillais mais
rien n'était prêt. Je ne pouvais envisager de
publier. Enfin, je ne sais pas
Le temps a passé.
JLT
- Vous n'étiez pas satisfait
CJ
- Je n'avais pas grand chose à présenter. Pendant
de longues années, je n'ai fait que lire, réfléchir,
un peu écrire. Mais je n'écrivais que des notes
de Journal et parfois de courts poèmes. Ce n'était
donc pas suffisant pour intéresser un éditeur.
JLT
- Quelles lectures vous ont marqué étant enfant
?
CJ
- Je n'ai jamais rien lu, étant enfant, ni adolescent.
Je n'ai commencé à lire qu'à 23 ans,
quand j'ai décidé de me mettre à écrire.
JLT
- Et à l'école ?
CJ
- Ah non, non, non
Je suis d'une autre génération
que vous. A l'école, c'était la guerre et il
n'y avait aucun livre. Aux enfants de troupe, où j'ai
passé ma scolarité, il n'y avait ni livres,
ni journaux. Quand je rentrais chez moi, j'habitais dans un
village. J'étais un petit paysan. Je travaillais et
n'avais donc pas le loisir de me tourner vers les livres.
JLT - Vous êtes-vous senti proche du Nouveau Roman
?
CJ
- Jamais. Je me suis intéressé aux uvres
de Nathalie Sarraute et de Claude Simon. Mais je ne les ai
pas lus comme auteurs du Nouveau Roman. D'ailleurs, rien n'est
plus différent que Nathalie Sarraute et Claude Simon.
JLT
- Pour devenir écrivain, décider d'écrire,
pensez-vous qu'il soit nécessaire de porter en soi
une déchirure, disons, originelle ?
CJ
- Je ne sais pas trop. On ne peut rien affirmer. Dès
qu'il s'agit de l'être humain, tout est possible. Endurer
une épreuve sérieuse va forcément vous
amener à vous poser des questions, à réfléchir,
à descendre en vous-même. Dans le cas contraire,
vous continueriez de vivre dans l'insouciance.
JLT
- Quelqu'un de trop heureux ne peut pas écrire ?
CJ
- Si l'on est heureux, il n'y a aucune raison de s'infliger,
je pense, cette souffrance qu'est l'écriture.
JLT
- C'est vraiment une souffrance ?
CJ
- Ah, c'est une difficulté ! Elle exige beaucoup d'énergie,
une grande discipline de vie. Si l'on n'est pas contraint,
on a tout intérêt, je crois, à ne pas
se tourner vers une telle activité.
JLT
- Quelle est la part de mythologie personnelle dans l'Année
de l'éveil ? Avez-vous reconstruit votre passé
?
CJ
- Sans doute. Dès qu'on écrit, il y a mise en
forme, stylisation. Cela dit, même s'il y a forcément
reconstruction, rien n'est gratuit. Ce n'est sans doute pas
le reflet absolument littéral, exact de ce qui s'est
passé mais tout ce que j'ai écrit est vrai.
JLT
- Comment s'est concrétisée l'adaptation de
l'Année de l'éveil ?
CJ
- Des épreuves de l'Année de l'éveil
avaient circulé dans Paris. Elles étaient
tombées entre les mains d'un producteur de UGC. Il
avait aussitôt pensé qu'il y avait là
un bon sujet de film. Il s'est manifesté trois jours
après la parution du livre en téléphonant
à mon éditeur pour prendre une option sur une
éventuelle adaptation du livre.
JLT
- Quelle a été votre réaction ?
CJ - J'ai évidemment été surpris. Il
me fallait accepter. C'était une proposition intéressante.
Elle m'a rapporté un peu d'argent, ce dont j'avais
le plus grand besoin.
JLT
- Avez-vous participé au casting ?
CJ
- Non. Pas plus qu'à l'écriture du scénario.
JLT
- Vous n'avez pas été consulté ?
CJ
- Non, non. Je n'ai participé en rien à la conception
du film.
JLT
- Vous l'avez vu ?
CJ
- Bien sûr, oui.
JLT
- Vous êtes-vous senti trahi ou dépossédé
par l'adaptation de Gérard Corbiau ?
CJ
- Oui. Je n'ai pas trop aimé tout ça. C'était
moi et ce n'était pas moi. Tous les visages, les décors,
rien ne correspondait à ce que j'avais en tête.
JLT
- C'était une relecture.
CJ
- Voilà. En même temps, certains dialogues étaient
empruntés au livre. Il me semblait qu'on avait traficoté
ce que j'avais écrit. Certains éléments
avaient altéré le personnage que j'avais défini
et qui était moi. J'en ai tout de même été
gêné.
JLT
- L'adaptation est, de plus, forcée de condenser en
deux heures les 240 pages du livre
CJ
- Oui, c'est évident. Dès qu'il y a une adaptation,
de nombreux pans du livre vont être écartés
car on ne peut pas les convertir en images. Le problème
n'était pas là. Une fin fut inventée
à cette occasion. C'était parfaitement inutile.
Elle venait casser l'émotion éprouvée
pendant la plus grande partie du film. C'était une
erreur que bien des spectateurs ont ressentie. C'était
donc un film honnête, qui aurait pu être beaucoup
plus fort, intense et âpre.
JLT
- Vous avez dit que la prose exigeait chez vous plus d'effort
que le poème. Pourquoi ?
CJ
- Ecrire en prose un récit ou un roman est un travail
de longue haleine : il représente des mois de travail.
Il faut chaque jour s'inscrire dans une continuité.
Ecrire des fragments, c'est tout autre chose. On est beaucoup
plus mobile. On peut se laisser solliciter par tout ce qui
se présente à l'esprit.
JLT
- Vous avez écrit des pièces de théâtre.
Comment avez-vous abordé le genre théâtral
?
CJ
- Je ne suis pas un auteur de théâtre. J'ai écrit
une première pièce intitulée Ecarte
la nuit. Je viens d'en écrire une autre à
sortir très prochainement sur le poète allemand
Hölderlin. Je n'ai donc fait que deux incursions dans
le domaine du théâtre. On ne peut donc pas me
considérer comme un écrivain de genre.
JLT
- Avez-vous éprouvé les mêmes difficultés
à écrire des pièces qu'à écrire
de la prose ?
CJ
- Non. Au contraire. Ce que j'écris est calqué
sur le rythme de la parole. Il m'est donc beaucoup plus facile
de faire parler des personnages que de narrer une histoire.
JLT
- Quand écrivez-vous ?
CJ
- J'écris surtout l'après-midi, parfois le soir
ou même la nuit. La nuit est le moment de la journée
qui me convient le mieux. Cela dit, on ne peut pas toujours
vivre la nuit, surtout quand on ne vit pas seul. Le rythme
de la journée et des repas en est bouleversé.
C'est compliqué.
JLT
- Vous écrivez n'importe où ?
CJ
- Je peux écrire n'importe où. Mais dans la
mesure où je suis bien chez moi, je n'ai aucune raison
d'aller écrire ailleurs.
JLT
- Dans vos récits, vous avez utilisé toutes
les personnes du singulier : le "je", le
"tu", le "il". Quelle est celle qui vous
convient ou vous réunit le mieux ?
CJ
- Là encore, rien n'est délibéré.
Chaque fois, la forme s'impose. Je n'ai donc pas eu de préférences
particulières pour telle personne. Mais, sans doute,
le "je" reste tout de même celui qui arrive
le plus spontanément sous la plume.
JLT
- Est-ce rassurant d'écrire avec le " je "
ou pas du tout ?
CJ
- Ce n'est pas la question
JLT
- Mais par rapport au " il ", qui masque davantage
l'intériorité ?
CJ
- Le " il " implique une distanciation. Mais je
le redis : rien ne peut se décider à l'avance.
Chaque récit ou nouvelle impose de choisir le "
je ", le " tu " ou le " il ".
JLT
- Doutez-vous toujours de vous quand vous écrivez ?
CJ
- Non, je doute heureusement beaucoup moins. J'ai dû
longtemps lutter contre un doute extrêmement destructeur.
Même s'il est aujourd'hui moins corrodant, il subsiste
encore. On ne peut jamais être totalement satisfait
de son travail. Cela dit, ces doutes-là ne ressemblent
plus à ceux que j'ai connus lorsque je commençais
à écrire et que je ne savais pas ce qui m'attendait.
JLT
- Cherchez-vous encore à vous unifier ?
CJ
- Ce fut effectivement un besoin, très profond et constant
en moi. Mais l'essentiel de ce travail s'est accompli. Je
suis aujourd'hui devenu celui que j'étais et que j'étais
empêché d'être. Je vis donc en meilleure
intelligence avec moi-même. Je ne suis plus aussi acharné
à vouloir réduire mes contradictions. Certaines
sont inhérentes à la condition humaine et il
faut savoir les accepter.
JLT
- Cette réflexion, vous la devez à l'écriture,
à la maturité ?
CJ
- L'écriture a toujours été pour moi
un instrument indispensable à la conduite de ma vie.
Je l'ai vécue comme ça. Je n'en fais donc pas
une règle générale.
JLT
- Votre source d'inspiration vient de votre mémoire
ou de votre lointain intérieur pour paraphraser le
titre de Henri Michaux ?
CJ
- On introduit des cloisons dans la vie intérieure,
dans cette réalité psychique, interne qui nous
constitue. Mais la mémoire est le réceptacle
de notre sensibilité, de ce qui nous pénètre,
ce qu'on absorbe, de nos lectures ou rencontres. L'ensemble
constitue une sorte de magma qui va nourrir l'écriture.
La mémoire est donc présente, mais elle est
aussi nourrie de nombreux éléments. Elle n'est
pas une entité, ni même un lieu coupé
du reste ou de cet être intérieur. Tout cela
est une même et seule réalité.
JLT
- Selon vous, le monde intérieur est-il plus vrai que
le monde extérieur ?
CJ
- Ils n'ont rien de comparable. Le monde extérieur
est composé d'êtres humains, de paysages ou de
villes. Nous recevons tout cela en fonction de ce que nous
sommes et de notre sensibilité, de notre attention
ou de notre vulnérabilité. On peut être
plus ou moins fermé au monde extérieur, se prêter
aux rencontres, admirer les paysages, etc.
Chacun a
sa manière d'être et de recevoir. Il n'y a pas
deux êtres qui soient comparables, comme on le sait.
JLT
- Ce qui m'a surpris, c'est la soif de vivre et le courage
de vos personnages. Je pense à cette phrase dans Lambeaux
" Ce que tu vis est trop important pour que tu acceptes
de le laisser mettre en péril ". C'est une
forme d'existentialisme...
CJ
- Non. Ce n'est pas à associer à l'existentialisme.
On ne vit pas en fonction d'un mot ou de certaines conceptions
philosophiques. Il y a, en moi, une passion pour la vie. Cette
passion s'est donc, forcément, coulée dans mes
personnages. Et si cela se ressent dans la lecture de mes
livres, je ne peux que m'en réjouir.
JLT
- Combien de fois avez-vous rencontré Samuel Beckett
?
CJ
- Quatre fois.
JLT
- Quel genre d'homme était-il ?
CJ
- Il était impressionnant, singulier, extrêmement
grave et concentré. Il parlait très peu et répondait
à une question en trois mots. Je me souviens [rires]
lui avoir posé une question sur Molloy et, là,
il était resté pendant à peut-être
deux minutes plongé en lui-même, complètement
étranger au monde extérieur. Je ne savais pas
quoi faire, s'il avait oublié la question et si je
devais lui en poser une autre, si je devais rester silencieux
et attendre. Et puis, tout à coup, Beckett revint au
monde extérieur et me dit : " Je ne m'y sens
plus chez moi. " C'était sa réponse.
Toutes ses réponses étaient extrêmement
brèves mais percutantes, et à plusieurs reprises,
je percevais le génie de Beckett dans ces quelques
mots.
JLT
- Comment l'avez-vous rencontré ?
CJ
- J'étais un ami du peintre Bram van Velde, qui avait
très bien connu Beckett avant la guerre. Bram van Velde
m'avait incité à écrire à Beckett
et à aller le voir. Les choses se sont ainsi faites.
De moi-même, je n'y serais pas allé. Je n'aurais
pas osé.
JLT
- Vous êtes allé le voir pour lui parler de ce
que vous faisiez ?
CJ
- Non, pas du tout. Je ne parle pas de moi quand je rencontre
quelqu'un.
JLT
- Pour quelles raisons vouliez-vous le rencontrer ?
CJ
- J'avais des questions à lui poser. Je l'avais beaucoup
lu. Son uvre était très présente
en moi.
JLT
- Vous vous étiez reconnu dans ses ouvrages ?
CJ
- Oui.
JLT
- Stylistiquement ?
CJ
- Ah, non, non, non. Sur un plan ontologique. Pendant des
années, j'étais en pleine détresse et
je me sentais forcément proche de ces personnages déglingués
que l'on rencontre dans ses livres.
JLT
- Quel est selon vous le rôle d'un écrivain ?
CJ
- Prêter à autrui les mots dont il a besoin pour
avoir accès à lui-même et formuler éventuellement
ce qu'il vit. Bien des gens sont coupés d'eux-mêmes
et n'ont pas du tout la possibilité de dire ce qu'ils
sont. Moi, à l'adolescence, j'ai vécu cette
situation douloureusement. Je bouillonnais et je n'arrivais
pas à parler. Beaucoup de gens sont pratiquement dans
cet état toute leur vie. Ecrire, c'est donc d'abord
écrire pour soi, en fonction d'un besoin personnel,
mais c'est aussi, je crois, savoir suffisamment se détacher
de soi pour tenir un propos universel qui puisse concerner
autrui. J'éprouve toujours le besoin de dépasser
les limites de l'individuel pour aller vers quelque chose
d'immense que je sens en moi, de l'ordre de l'universel. De
même, écrire fait partie d'un travail que je
poursuis incessamment en moi, un travail qui me met en paix.
JLT
- Vous interrogez-vous toujours par rapport aux questions
métaphysiques ?
CJ
- Bien sûr. Tout cela fait partie de l'écriture,
de ma réflexion et de mon cheminement. Ce ne sont pas
des questions à proprement parler métaphysiques
: elles s'imposent à ma pensée, à mon
être profond. Elles sont là et je dois donc compter
avec elles.
JLT
- Vous intéressez-vous aux grandes théories
liées à la naissance de l'univers ?
CJ
- Non, pas du tout. Quand je rencontre un article ou une étude,
il peut m'arriver de les lire. Pour moi, l'important reste
la morale et le comportement vis-à-vis des autres en
société. Toutes les théories ou croyances
m'apparaissent, par comparaison, bien secondaires.
JLT
- Vous sentez-vous plus dans la vie qu'à une époque
?
CJ
- Je crois. Je suis libéré de certains problèmes
personnels. Je communique plus. Je sais mieux participer.
J'avais auparavant ce besoin d'aller vers les autres, mais
tout en moi était brouillé.
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Propos
recueillis par Jean-Louis Tallon,
à Lyon (novembre 2000) |
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