Vaste question. Une partie -très réduite- de
la critique s'y intéresse depuis déjà
quelques années, voire décennies, puisque c'est
dans les années 70 que la littérature populaire
a connu un regain d'intérêt. En 1970, le magazine
Europe consacrait toute une édition à Alexandre
Dumas, considéré comme l'un des maîtres
de ce " genre ". " Genre ", parce que
l'on tend à le considérer comme un sous-genre,
un fourre-tout où la critique jette en vrac, et souvent
avec mépris, les best-sellers. Marc Angenot, critique
Québécois, tentait en 1975 de définir
la littérature populaire et sa nomination, en évitant
toute connotation dévalorisante, comme celle d' "
infralittérature " ; il la remplaça par
le label de " paralittérature ", terme qui
reste, à mon endroit, tout aussi péjoratif que
les autres : qu'elle soit " Pulp fiction ", "
Pop lit ", " Trivialliteratur " ou " letteratura
di massa ", la littérature populaire reste un
genre à elle seule, malgré ses diverses branches,
celles-ci allant des romans policiers, d'espionnage et de
cape et d'épée, aux romans de science-fiction
et "à l'eau de rose ".
Puisque sa variété est si grande, comment peut-on
regrouper en deux mots toutes ces tendances littéraires
? Comment peut-on définir un roman populaire ? Par
ses ventes massives, par sa lecture facile, ou par son lectorat
dont l'intelligence et la culture sont soi-disant limitées
? Les réponses, que j'ébaucherai, résident
dans une multitude de facteurs, ceux-ci se trouvant tant dans
l'écriture que dans sa réception par le public.
L'écriture : selon Umberto Eco, " le texte [...]
postule son lecteur " (Lector in Fabula, 234), à
savoir, c'est l'écriture qui produit sa lecture, l'intérêt
qu'elle suscite et l'interprétation qu'elle génère.
Pourtant, il semble, de prime abord, que le roman populaire
n'appelle à aucune interprétation. En effet,
parce qu'il ne fait qu'invoquer un monde manichéen
où les forces du Bien finissent toujours par triompher
de celles du Mal (voir Barthes, Mythologies), et parce qu'il
ne fait, de la sorte, que répondre aux attentes du
lectorat, le roman populaire semble n'être qu'une lecture
facile, appelant à l'évasion plutôt qu'à
la réflexion. Par ailleurs, les nombreuses clés
de lectures parsemées dans le texte permettent à
tout consommateur d'y trouver son compte.
Ceci m'amène au lectorat : ce dernier, tel que le définissent
Roger Chartier et de Robert Darnton, est diversifié
: les lecteurs de romans populaires ne font en rien partie
des " basses couches " de la société.
Au contraire, ils sont caractérisés par leurs
particularités, tels leurs âges, leur éducation,
leur milieu de travail, leurs appartenances et préférences
sexuelles. Tout lecteur de romans populaires peut appartenir
tant aux classes aisées que moyennes ou ouvrières.
Le public, dans sa diversité, se définit alors
par ses identités multiples : il est composé
de " communautés de lecteurs ", ainsi que
les qualifie Chartier.
Parce que les clés de lectures sont diversifiées
et parce que le lectorat l'est lui même, la littérature
populaire possède une capacité que les romans
" élitistes " n'ont point : celle de plaire
à tous. Ceci requiert un talent inestimable, mais malheureusement
trop dédaigné de la majorité d'une critique
qui se déclare objective -tout lettré est censé
l'être-, mais objective en surface : l'art, tel qu'elle
le perçoit, reste un art pur, dénué de
toute connotation à tendance soi-disant populacière.
Rares sont ceux, qui, comme Roland Barthes et Umberto Eco,
ont reconnu des valeurs à ce type de littérature
: s'ils restent objectifs quant à ses aspects idéologisants,
ils ont néanmoins considéré et étudié
son impact.
Aspects idéoligisants, par les conflits symbolisant
le Bien contre le Mal, la Nature contre la Culture, etc. Mais
des aspects qui permettent au lectorat de trouver, outre les
clés de lecture, un écho de sa vie quotidienne,
un espace où ses frustrations peuvent se réaliser
par sa projection sur les héros et son identification
au Bien.
Umberto Eco qualifie ce type de texte de fermé, en
ce qu'il ne permet aucune interprétation possible.
Cependant, des romans tels que Les Mystères de Paris
ne sauraient l'être, comme en témoigne l'interprétation
de Karl Marx où il dénonce le paternalisme bourgeois
de cette oeuvre. Ni même Les Trois Mousquetaires, qualifiés
d'oeuvre pour enfants, et qui pourtant, ne cessent de critiquer
le Pouvoir, un pouvoir panoptyque, étouffant l'individu
et l'écrasant de ses caprices.
Peut-on alors se permettre d'émettre des généralités
sur le roman populaire, et peut-on, surtout, mépriser
une littérature que le public, quel qu'il soit, apprécie
de manière discontinue ? Est-il possible de sousestimer
une oeuvre qui, comme Les Trois Mousquetaires, suscite la
passion du public, comme le prouvent ses rééditions
incessantes et ses centaines d'adaptations cinématographiques
?
Messieurs les critiques et les enseignants, l'heure est venue
de repenser et de justifier votre dédain.
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Roxane
PETIT-RASSELLE |
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