En
voulant l'adapter pour le cinéma, le réalisateur
Steven Spielberg avait consacré le succès phénoménal
de son premier roman Et si c'était vrai
Faisant fi de toutes les modes, de toutes les chapelles littéraires,
Marc Lévy nous offre aujourd'hui son deuxième
opus intitulé Où es-tu? Rencontre avec
le plus hollywoodien des romanciers français.
JLT - Pourquoi avoir demandé à Mylène Farmer
de dessiner les deux dessins des couvertures de votre dernier
roman ?
ML
- Eh bien, vous y allez fort ! Parce que !..
JLT
- C'est votre réponse
ML
- Oui.... Non, je vais la compléter. Parce que Mylène
Farmer dessine merveilleusement bien.
JLT
- Quelle avait été votre réaction en
apprenant que votre premier livre était retenu par
Robert Laffont ?
ML
- Je n'y ai pas cru. Pour ne rien vous cacher, j'ai même
pensé à une blague. Ma sur m'avait tanné
pour que j'envoie ce manuscrit à un éditeur.
Je ne l'imaginais pas publiable. A l'époque, Bernard
Fixot dirigeait les éditions Robert Laffont. Il m'a
rappelé dix jours après la réception
du manuscrit et a laissé un message sur mon portable.
J'ai rappelé, mais au moment où je composai
le numéro, j'étais certain qu'un copain de ma
sur m'avait fait une blague. A l'autre bout du fil,
on a décroché en disant : " Robert Laffont,
bonjour ! " J'ai alors demandé à la standardiste
s'il s'agissait vraiment des éditions Robert Laffont.
Et au son de sa voix, j'ai compris que c'était vrai.
JLT
- Et quelle a été votre réaction quand
vous avez appris que Steven Spielberg voulait l'adapter pour
le cinéma ?
ML
- Là, j'y ai cru. Je me trouvai dans le bureau de l'agent
littéraire qui s'occupait de la cession des droits
de Et si c'était vrai
Et puis, j'ai cru
reconnaître la voix de Spielberg au téléphone.
Ce fut un moment inoubliable. J'étais évidemment
très impressionné. En même temps, tout
allait très vite. On en est rapidement venu à
discuter de l'histoire. Spielberg est une personne qui fait
preuve d'une telle humilité, d'une telle générosité
de comportement qu'il vous fait immédiatement oublier
à qui vous parlez. Vous savez seulement que vous discutez
avec Spielberg. Ensuite, nous nous sommes vus à New
York. Je ne suis pas du genre " fan ", à
être impressionné à l'idée de rencontrer
une personnalité. J'étais extrêmement
heureux de le rencontrer mais j'avais peur d'être déçu,
de me retrouver devant quelqu'un qui avait la grosse tête.
En fin de compte, j'ai vraiment vécu un moment magique.
Spielberg est à l'image de ce que l'on voit dans ses
films. Il est d'une telle intelligence de cur et d'une
telle simplicité
C'est vraiment le papa d'ET
!
JLT
- Pensez-vous que l'adaptation cinématographique d'un
roman puisse être un aboutissement pour un écrivain
ou pour un romancier ?
ML
- Pas nécessairement. C'est sans nul doute un beau
compliment pour l'auteur. Selon la nature de l'ouvrage et
les envies de l'écrivain, l'adaptation peut donner
à l'uvre une autre dimension. Je suis contre
la notion galvaudée de la trahison dans l'adaptation.
C'est un shéma intellectuel compliqué. Si un
réalisateur de cinéma s'empare d'une histoire
qu'on a raconté, c'est une manière de dire :
" J'aimerais bien raconter ton histoire ". Et si
vous acceptez, vous la lui laissez raconter à sa façon.
Le livre ne va pas brûler pour autant.
JLT
- A la suite du succès de votre premier roman Et
si c'était vrai
, vous avez dit ne pas avoir
de prétentions littéraires. Est-ce toujours
votre maître mot aujourd'hui que vous publiez Où
es-tu ?
ML
- Oui. Un journaliste m'a un jour posé la question
suivante : " Si vous n'êtes pas un écrivain,
vous êtes quoi ? " Je lui ai alors répondu
: " S'il vous faut absolument une étiquette, vous
n'avez qu'à me coller celle d'auteur ". On peut
être l'auteur de beaucoup de choses. La pseudo identité
d'écrivain ne m'est pas nécessaire. Ce n'est
pas à soi de parler de ses uvres. Il faut être
lucide. Il y a eu suffisamment d'exemples par le passé.
Une uvre totalement rejetée à une époque
peut remporter un succès phénoménal plus
tard et inversement. Comme on ne peut pas savoir si son livre
restera, il ne sert à rien de se poser la question,
sauf si l'on est mégalo. J'ai toujours été
étonné par le milieu parisien du microcosme
littéraire. Ces gens n'ont aucun vécu ! Ils
parlent savamment de la liberté mais s'enferme dans
un tel ghetto ! Jorge Semprun n'a jamais eu besoin de dire
qu'il est un grand écrivain, ni de s'enfermer dans
un ghetto. Il écrit et reste libre. L'écriture
doit être une grande liberté.
JLT
- Pourriez-vous vous tourner vers d'autres formes d'expression
?
ML
- Oui, si j'en avais la capacité ! Les arts du dessin
ou de la peinture m'ont toujours attiré. Mais pour
dessiner un cube, il me faut à peu près deux
jours, alors
Quand je vois quelqu'un prendre une feuille
de papier, un bout de crayon, comme ça [il mime]
et puis, voilà, le trait part, devient tout à
coup un objet, une forme, un visage, une expression. Vous
évoquiez le dessin de la couverture. Je suis strictement
incapable de réaliser un tel dessin. Donc, première
expression : le graphisme, le dessin, c'est croix barrée.
Inutile non plus de penser à la chanson. Ce ne serait
pas un cadeau [rires]. Restent la photo ou la caméra
Pourquoi pas ?.. On verra.
JLT
- Et si c'était vrai était un conte,
comment définiriez-vous Où es-tu ? Est-ce
un autre conte ?
ML
- Oui. Un deuxième conte, peut-être plus élaboré
et complexe que le premier. Je voulais inverser la parité
des choses. Dans le premier roman, l'histoire prédomine
sur les personnages. Dans Où es-tu ?, j'ai souhaité
faire le contraire, sans oublier l'histoire.
JLT
- Comment expliquez-vous ces titres un peu énigmatiques
? Avec Et si c'était vrai
, le titre est
plutôt prometteur, il laisse quelque chose en suspens.
Où es-tu ? est carrément une interrogation,
une interpellation qui peut s'adresser également au
lecteur
ML
- Trouver un titre reste pour moi complètement instinctif
et très très difficile. J'ai eu beaucoup de
mal avec celui du deuxième. Et puis, il est venu tout
d'un coup
JLT
- Vous vous étiez, je crois, arrêté sur
un autre titre
ML
- Oui, je voulais l'appeler la Part des choses. Mais
un autre roman, intitulé la Part de l'autre,
sortait au mois de septembre. C'était trop rapproché.
Selon moi, un titre ne doit pas mentir au lecteur et le flouer
sur l'histoire du livre. Je ne dis pas qu'un titre ne peut
pas être accrocheur et faire plaisir. Mais j'ai souvent
été frustré en lisant un livre si je
m'apercevais que le titre n'avait aucun rapport avec le roman.
Sauf si c'était volontaire, par dérision humoristique.
Dans ce cas-là, le titre aura de toute manière
un lien avec l'histoire. En fait, quand je me demandais quel
trait commun reliait ces personnages, tous semblaient avoir
été à la recherche de quelque chose et
chacun semblait avoir trouvé quelqu'un. Tous se demandent
où est leur bonheur, où est l'autre, où
est leur façon d'aimer, où est leur façon
de vivre
A la suite de toutes ces questions, le titre
est alors venu de lui-même.
JLT
- Avez-vous déjà un troisième roman en
gestation ?
ML
- Oui, je suis en train de l'écrire.
JLT
- Comment travaillez-vous ? Commencez-vous par établir
un scénario, sur un cahier ou sur des feuilles, de
vos histoires, ou est-ce au fil de la plume ?
ML
- Il y a trois étapes. Tout d'abord, l'idée
de l'histoire me vient. Je ne peux pas vous dire comment.
C'est très confus. Puis il y une période de
gestation, au cours de laquelle l'idée va ou non donner
une histoire. Une fois que l'histoire est venue, je me la
raconte, je l'élabore : en un mot, je pose l'histoire
sur le papier, jamais sous la forme d'un résumé,
mais plutôt d'un séquencier. A partir de là,
je connais à peu près tous les épisodes
de mon histoire. Je crée les chapitres et, enfin, je
me mets à écrire véritablement, tout
en modifiant le cours de l'histoire. Certaines idées
finissent en effet par s'imposer et vous poussent à
en changer le cours préétabli.
JLT
- Y a-t-il eu au fil du temps d'importantes modifications
dans le séquençage ou le chapitrage prédéfini
de Où es-tu ? ?
ML
- Oui. Surtout une, mais elle relève plus du montage
que de l'histoire. Dans Où es-tu ? il était
difficile d'équilibrer le rapport entre les deux parties.
En écrivant mon roman, je me suis aperçu que
le point d'équilibre n'était pas le juste milieu
du texte. J'ai donc accéléré une scène
et ralenti une autre. Mais la trame générale
de l'histoire n'a pas été modifiée même
si la forme de la fin a changé. J'avais en effet trois
façons possibles de terminer le roman, qui ouvraient,
chacune, trois perspectives différentes aux personnages.
J'ai choisi celle qui correspondait le mieux avec ce que je
ne voulais pas : un personnage ne devait pas avoir raison
par rapport aux autres dans ses choix de vie.
JLT
- On a tout de même le sentiment que Susan a tout perdu
: elle perd sa fille, elle repart pour perdre la vie
ML
-
ou tout recommencer
JLT
-
dans un total désordre
ML
- Oui
Mais " mettre de l'ordre " est l'essence
même de sa vie
La vraie mort de Susan, ne serait-ce
pas se retrouver dans un pays où il n'y a plus de secours
à porter ? Paradoxalement, Mitch représente
pour Susan sa mort ou sa renaissance
A première lecture, on peut penser que Susan a tout
perdu. Selon moi, c'est le contraire. Dans la première
partie du roman, Susan n'est pas réellement généreuse.
Elle croit l'être quand elle porte secours aux autres.
Elle le devient à la seconde où paradoxalement
elle abandonne non pas sa fille mais l'idée du destin
qu'elle allait imposer à sa fille : elle prend conscience
que sa fille n'est pas elle. Quand Susan est à l'aéroport,
elle est confrontée à sa fille qui ne sait pas
quelle décision prendre. Que lui dit Susan ? "
Comme moi à ton âge : tes propres choix.
" Dans le sourire qu'elle va laisser derrière
elle en voyant sa fille repartir avec Philip dans la maison
de Mary, il lui semble avoir achevé sa plus belle réussite.
En laissant partir sa fille à New York, Susan fait
le seul vrai sacrifice de sa vie. Toute sa vie a été
conditionnée par sa peur de l'abandon. Aimer, c'est
prendre un risque : celui d'être abandonné ou
rejeté. Et Susan ne veut pas prendre ce risque, donc
elle refuse d'aimer. Et quand, pour la première fois,
dans sa vie, un amour s'impose à elle, sans risque,
inconditionnel - on ne peut pas être abandonné
par ses propres enfants - Susan reste lucide et devient généreuse
pour la première fois en acceptant de ne pas imposer
sa vie à cet enfant. Elle s'en sépare et l'envoie
à New York. C'est un sacrifice. Et la plus grande récompense
de sa vie est de découvrir à l'aéroport
que son geste a eu un sens. Sa fille a trouvé un équilibre
: elle s'est construite une vie ; elle a une identité
et une famille. Chaque personnage, à la fin du roman,
a donc trouvé ce qu'il cherchait. C'est ce que je souhaitais.
Je ne voulais pas qu'il y ait un jugement porté sur
l'un ou sur l'autre. Le récit montre que la petite
éprouve de l'amour pour sa mère, jusqu'à
la vénérer. On peut être tenté
de juger Susan
Mais il y a des arguments pour ne pas
le faire. Selon moi, on ne doit pas juger un être humain
sur ses choix.
JLT
- La plus grande majorité des critiques ont salué
votre premier roman. Il semble y avoir moins d'engouement
pour le deuxième, m'a-t-il semblé. Que répondriez-vous
aux critiques qui vous ont été faites, sachant
que le public suit toujours ?
ML
- Pour être sincère avec vous, j'ai eu l'impression
contraire. Mon premier roman Et si c'était vrai
ne semblait pas avoir été critiqué. Les
journalistes avaient soit évoqué l' " aventure
Spielberg ", soit s'étaient livrées à
un jeu de massacre littéraire. Je n'ai, dans l'ensemble,
pas gardé le souvenir d'une bonne presse. Libération
avait été le seul à me faire un compliment
en qualifiant mon livre de " jolie bleuette ".
C'est vous dire ! Pour Où es-tu ?, les critiques
m'ont au contraire paru extrêmement gentilles, comme
dans Le Point ou Elle. Je ne m'y attendais pas
du tout. [Il réfléchit] Il y a eu un
article négatif dans DS. La presse attendait
mon second roman au tournant pour éventuellement le
critiquer et l'assassiner. Je m'y étais préparé.
Je m'attendais à une vague de critiques très
agressives et puis, finalement, non.
JLT
- Il me faudra revoir mes sources [rires]
ML
- Non
On retient davantage la méchanceté
que la gentillesse. Faites le test : il marche toujours. Au
cours d'un repas, demandez le nom de dix dictateurs ; tout
le monde vous les cite en trente secondes. Puis demandez le
nom de deux découvreurs de vaccins importants. A l'exception
de Pasteur, les gens sècheront pour vous donner le
nom du deuxième.
JLT
- Quelles lectures vous ont marqué dans l'enfance et
l'adolescence ?
ML
- La Nuit des temps de Barjavel, le Petit prince
de St exupéry, la Condition humaine de Malraux
Pour ce dernier, j'étais déjà un peu
plus vieux [rires]
[Il réfléchit].
Pagnol m'a beaucoup marqué
comme Prévert,
Baudelaire, Hugo, Rimbaud ou Verlaine
Ce sont les auteurs
de ma jeunesse et de mon adolescence. Après, j'ai commencé
à lire abondamment des auteurs américains, comme
Hemingway, Stephen King ou encore James Ellroy
JLT
- Vous avez vécu en grande partie en France ?
ML
- En France et aux Etats-Unis. Souvent entre les deux.
JLT
- C'est à partir du moment où vous êtes
allé aux Etats Unis que vous avez commencé à
vous intéresser à la littérature américaine
?
ML
- Non, déjà avant. J'ai commencé à
aller souvent aux Etats Unis à l'âge de 21-22
ans, mais mon niveau d'anglais à l'époque ne
me permettait pas de lire d'ouvrages américains dans
le texte. Ca m'énervait ! Mes auteurs favoris sortaient
des nouveaux romans là-bas mais il me fallait attendre
un ou deux ans avant de pouvoir les acheter en français.
JLT
- La popularité vous a-t-elle changé ?
ML
- Pas du tout.
JLT
- Vous savez vous en préserver.
ML
- Totalement, oui.
JLT
- Quel regard portez-vous sur la technologie qui nous entoure
chaque jour davantage ? Etes-vous plutôt du genre optimiste
sur ce sujet ?
ML
- Très optimiste ! Chaque fois qu'on avait vu dans
la technologie la mort d'une tradition ou d'une méthode,
on s'était trompé. Pour certains, au tout début,
la micro-informatique allait signer la mort du papier. On
n'a jamais autant imprimé de papier ! Autre exemple
: Internet devait signifier la mort de l'écrit. On
n'a jamais autant écrit de lettres ! Qu'on les envoie
par la poste ou par un cable, le principe est le même.
L'écrit reste donc permanent. Plus généralement,
l'épouvantail de la technologie ne m'a jamais fait
peur, bien au contraire. Tous ces débats sur la bioéthique,
le clonage ou la médecine génétique sont
d'arrière-garde. Ambroise Paré disséquait
les corps humains en cachette car, à l'époque,
on n'avait pas le droit d'ouvrir les morts. Je ne comprends
pas que des médecins s'arrêtent encore à
ce type de considérations et ne réalisent pas
que la médecine génétique soit celle
de demain. Le clonage est en effet un procédé
extraordinaire. Et au lieu de se focaliser sur la théorie,
il vaudrait mieux se souvenir que des milliers de gens meurent
aujourd'hui car il n'y a pas assez d'organes dans les hôpitaux.
Aujourd'hui encore, une personne peut mourir parce qu'il va
lui manquer un foie ou un rein. L'essentiel du clonage est
bien là et pas dans le schéma science-fictionesque
du clone du bébé. Par ailleurs, je trouve la
neuro-chirurgie ou la chirurgie ambulatoire fascinante. On
arrive à opérer sans ouvrir. Mais pour parvenir
à cette chirurgie-là, il avait d'abord fallu
opérer, sous Napoléon, sans anesthésie.
Si on s'était dit à l'époque : on ne
va pas soigner car ça fait mal, quels progrès
aurait-on fait ?
JLT
- Seriez-vous prêt à faire comme stephen King
: publier un roman par Internet ?
ML
- Pourquoi pas
Je trouve néanmoins un peu dommage
de procéder ainsi. Le livre est un objet important,
attachant. Si un ami m'envoie une lettre par Internet, je
l'imprime. Je prends plaisir à la lire sur papier.
Je n'ai par exemple pas envie d'avoir un e-book. Cela
dit, l'invention est géniale. Je voyage beaucoup et
emmener cinq livres dans sa valise, c'est déjà
une valise en soi. C'est très lourd ! Alors emporter
un objet qui a le format d'un livre et qui en comporte quatre
ou cinq serait plus pratique. Mais l'idée de lire sur
un écran me gêne un peu.
JLT
- Ne pensez-vous pas que les relations humaines se technologisent
aujourd'hui ?
ML
- Je ne le crois pas. Quand le téléphone est
arrivé, les gens ont eu peur de ne plus se voir. En
fait, on se sert du téléphone pour se donner
rendez-vous et se voir.
JLT
- Il n'y a pas que le téléphone. La télévision
ML
- On a dit un milliard de choses sur la télévision
! C'est vraiment la vache sur laquelle on tire à bout
portant en permanence. Pour certains, la télévision
serait un ghetto et nous enfermerait. Elle offre pourtant
aujourd'hui un grand choix de programmes. J'aime regarder
des chaînes comme Planète, le National Géographic,
Voyage, Odyssée, etc
qui proposent des reportages
inédits.
JLT
- Certes, mais la plupart des gens n'ont pas le cable
ML
- Il faut laisser du temps aux choses ! Oui, aujourd'hui,
l'univers de la télévision n'est pas parfait.
Loft Story ou Star Academy ne sont pas de la
première qualité. Mais, dans le même temps,
un divertissement est un divertissement. Quand j'avais 20
ans, il y avait en France trois chaînes de télé.
Vingt ans plus tard, des chaînes de télévision
thématiques proposent des programmes d'une qualité
absolument exceptionnelle. Ces mêmes chaînes thématiques,
aujourd'hui, économiquement, ne pourraient peut-être
pas être diffusées s'il n'y avait pas de chaînes
commerciales à fort taux d'écoute et aux programmes
moins intéressants. Par ailleurs, nous ne sommes pas
obligés de regarder !.. Selon moi, la vraie culture
est un mélange de culture générale et
de culture de divertissement. Par ailleurs, selon certains,
la télévision devait tuer le cinéma.
Mais le cinéma serait mort s'il n'y avait pas la télévision
d'aujourd'hui ! Tout le monde le sait. Grâce à
la télévision, on peut aujourd'hui produire
beaucoup de films.
JLT
- Comment voyez-vous le rapport cinéma français/cinéma
américain ?
ML
- J'ai été très agréablement surpris
de voir sur les écrans new yorkais la bande annonce
de la sortie aux Etats Unis du Pacte des loups. Très
franchement, elle était aussi magnifique que celle
d'un grand film américain. C'est la parfaite démonstration
de la bêtise, de tous les lieux communs que l'on a l'habitude
d'entendre sur les clivages entre le cinéma français
et le cinéma américain
JLT
-
relancés, notamment, par Jean-Marie Messier
qui avait déclaré en début d'année
: " l'exception culturelle française est morte
"
ML
- Je comprends parfaitement ce que veut dire Mr Messier. Si
l'on a la subtilité de comprendre son propos, il a
raison. La notion d'exception culturelle française
est un ghetto. D'ailleurs, la disparition de cette notion
ne signifierait pas disparition de l'identité culturelle
française. C'est très différent. Mais
au nom du maintien d'une espèce de pseudo exception
culturelle française, comme si l'on était plus
intelligent et plus malin que les autres, on a essayé
d'enfermer le cinéma français dans un conservatisme
qui peut être la cause de sa propre mort. En arrêtant
de rester sur ses a priori, le cinéma français
pourrait largement se libérer et s'exporter au delà
des frontières. Si l'on avait gardé les mentalités
conservatrices des professionnels du cinéma d'il y
a dix ans, le Pacte des loups n'aurait pas eu aux Etats
Unis cette sortie retentissante. Même s'il ne s'agit
ni de l'adaptation de la Condition humaine ou d'un
roman de Zola, même s'il reste grand public, le Pacte
des Loups donne ainsi une puissance de feu et provoque
l'intérêt des américains pour notre cinéma.
Quand le Fabuleux destin d'Amélie Poulain arrive
sur les écrans américains, il a alors toutes
les faveurs du public. Les américains se disent : "
Si j'ai aimé le Pacte des loups, j'ai aimé
le cinéma français : je vais donc aller voir
Amélie Poulain. " Et ceux qui pensent qu'on avance
plus vite en rajoutant des wagons à une locomotive,
n'ont rien compris à la mécanique.
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Propos
recueillis par Jean-Louis Tallon
Lyon - Janvier 2002 |
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