Le
compositeur américain Philip Glass est à l'honneur
en cette fin d'année 2001, avec trois sorties successives
: le DVD de Satyagraha (déjà dans les bacs),
le coffret Philip on film, la musique des films Candyman
1 et 2
Voilà
vingt-cinq ans que le compositeur américain Philip
Glass fait l'actualité. Né en 1937 à
Baltimore, cet ancien élève de la Julliard School
de New York réussit dans les années soixante-dix
à imposer progressivement une musique nouvelle, en
totale rupture avec la musique contemporaine jouée
à l'époque et issue du sérialisme intégral
et de la musique électroacoustique. Une musique étrange,
austère (inspirée de la musique indienne et
des mélo-rythmes nord-africains) très vite rattachée
au minimalisme, dont le trait caractéristique est d'être
répétitive et de renouer avec la tonalité.
C'est le temps des premières uvres comme One
+ One (1967), Two pages (1968), Contrary motion
(1969), Music in Twelve Parts (1971-1974), cataloguées
comme underground et qui marqueront une génération
d'artistes : de Paul Simon à David Bowie, en passant
par Brian Eno. Parallèlement, Glass, qui a refusé
une carrière toute tracée de professeur de musique,
vit de petits métiers : déménageur, plombier,
taximan. Toujours la légende du self made man
Il lui faut attendre l'année 1976 pour obtenir une
renommé internationale avec la création de l'opéra
Einstein on the Beach, mis en scène par Robert
Wilson et chorégraphié par Lucinda Childs. Un
opéra sans narration, ni réels personnages au
sens classique du terme. Une succession de tableaux, agencés
avec logique, sur une musique mécanique, effrayante,
tourbillonnante, extrêmement inspirée. Einstein
on the Beach marque une rupture radicale avec les genres
alors en vigueur, révolutionnant les manières
de concevoir la mise en scène et au-delà l'opéra.
L'uvre marque aussi un tournant dans la carrière
de Philip Glass. L'aboutissement de ses recherches théoriques,
le terme d'une musique jusque là davantage expérimentale.
Le succès ira par la suite crescendo. Et les
compositions se succèderont à une allure de
plus en plus exponentielle. Dans tous les genres : uvres
orchestrales, opéras, musique de théâtre,
de film, de chansons
Avec plus ou moins de bonheur.
Et plus ou moins de déceptions. Quoi qu'il en soit,
inégal ou génial, Philip Glass a sans nul doute
marqué de son empreinte la musique de la seconde moitié
du vingtième siècle. Comme peuvent en témoigner
les trois sorties discographiques de cette fin d'année,
qui, coïncidence de calendrier, offrent un court aperçu
des évolutions musicales du compositeur : l'opéra
Satyagraha en DVD, le coffret Philip on film,
la BO de Candyman.
Satyagraha
en DVD
Satyagraha est le deuxième opéra composé
par Philip Glass et certainement l'un des meilleurs. C'est
également le deuxième volet d'une trilogie d'"
opéras-portraits " initiée par Einstein
on the Beach et conclue par Akhnaten. Trois "
portraits " de personnalités qui ont, à
leur manière et dans leur trajectoire particulière,
changé le monde : Einstein et la science, Gandhi et
la politique, le pharaon Akhenaton et la religion. Commandé
par la ville de Rotterdam, produit par le Nederlands Opera,
Satyagraha fut représenté pour la première
fois au Théâtre municipal de Rotterdam le 5 septembre
1980. Cet opéra en trois actes et sept tableaux, dont
le livret, inspiré du Bhagavad-Gita, est écrit
en sanscrit (lisez d'ailleurs Sat-Ya-Gra-Ha, littéralement
" vérité "(Sat) et " détermination
" (Graha)) n'a pas à proprement parler de narration,
même s'il est plus limpide qu'Einstein on the Beach
dans le message délivré au public. Satyagraha,
comme son nom l'indique cherche à illustrer la philosophie
de la non-violence, de la
" force issue de la vérité et de l'amour
" incarnée par Gandhi. Aucune intrigue, donc,
dans cet opéra ; Satyagraha reste déclamatoire,
avec des lignes mélodiques pures, dépourvues
de percussions, d'un apaisement quasi mystique. Notamment
dans le monologue final, méditatif et aérien,
à la troisième partie de l'acte III
" King ". Tout concourt ici à l'élégance,
à la noblesse et à la grandeur. S'il ne faut
pas y voir un élan religieux comparable à celui
du Parsifal de Wagner, on peut toutefois parler d'une
certaine religiosité musicale, en phase avec les philosophies
orientales.
A la différence de ses uvres précédentes,
le compositeur américain bénéficia, lors
de la première mondiale de Satyagraha, d'un
orchestre traditionnel, avec un très grand nombre d'instruments
à cordes. Même cas de figure dans la version
DVD sortie chez Arthaus Musik. qui présente cette fois-ci
un enregistrement de la version de 1983, mise en scène
par Achim Freyer et dirigée par Denis Russell Davis.
L'opéra avait alors été présenté
à Stuttgart dans la Grande Salle du Württembergische
Staatstheater.
Aucun bonus dans cet enregistrement DVD : pas d'interviews,
ni de reportages, soit sur le montage de la mise en scène,
soit sur l'uvre elle-même. Et une version qui
peut réjouir et décevoir tout à la fois.
Réjouissante, car, enfin, rares sont les compositeurs
contemporains mis à l'honneur au format DVD et rares
sont les enregistrements de spectacles de Philip Glass, malgré
leur popularité. Décevante quant à la
platitude de la direction. Pourquoi Denis Russell Davis fait-il
jouer par exemple l'orchestre plus lentement que la version
CD (chez feu CBS Masterworks), ôtant du même coup
à l'opéra sa majesté et son ampleur ?
Décevante, enfin, car l'image n'est pas aussi nette
qu'on pourrait l'attendre d'un DVD.
Philip
Glass fait son cinéma
Philip on film est le titre d'un coffret de cinq CD
qui doit sortir en cette fin novembre. En écho avec
la tournée nord-américaine d'un spectacle du
même nom célébrant l'uvre de Philip
Glass liée au cinéma. Tournée orchestrée
par la société Pomegranate Arts et animée
par Philip Glass et son Ensemble.
Le compositeur américain a en effet finalement beaucoup
écrit pour le cinéma. De Koyaanisqatsi
(1981) à Kundun (1998), en passant par Mishima
(1985) et L'agent secret (1997), Glass a su imposer
un parcours mélodique audacieux et singulier dans l'univers
sursaturé de conformisme des musiques de film. Il faut
dire que le compositeur américain n'a pas choisi les
voies les plus populaires. Koyaanisqatsi réalisé
par Godfrey Reggio est tout sauf un film classique. Là
encore, pas d'intrigue. Koyaanisqatsi est une succession
de
magnifiques images, de vues du monde, de regards esthétiques
portés sur notre époque. C'est là aussi,
certainement, l'une des plus belles uvres de Philip
Glass. Les mélodies sont nerveuses, captivantes et
méditatives à l'infini.
Très différente dans sa structure, la BO du
film Mishima de Paul Shrader est également une
très grande réussite. Le compositeur américain
parvient à imposer un climat austère et rigoureux,
mélancolique et gris, en totale harmonie avec le film
et l'uvre de l'écrivain japonais Mishima. Austérité
renforcée pour les parties quatuor par l'interprétation
du Kronos Quartet. Par ailleurs, cette BO marque un tournant
décisif dans l'uvre de Glass. Car elle préfigure
dans ses meilleurs, comme dans ses pires aspects, le "
futur " Glass. Force est de constater en effet que des
musiques telles que Kundun, L'agent secret,
Anima Mundi (1995), The Truman Show (1997) et
même Powaqqatsi (1988) ont moins de personnalité
que leurs antécédentes. Certes, il y a toujours
ce style reconnaissable, pulsé, énergique, parfois
recherché, avec des mélodies qui tombent juste,
mais aussi tant de redites, sans âme, sans foi, qui
donnent parfois l'impression que la machine tourne à
vide.
Enfin, il y a des spectacles plus conséquents : notamment
Dracula (1999) et surtout La Belle et la Bête
(1995), tous deux mis à l'honneur dans Philip
on film. Dracula, qui fut en création française
l'année dernière à l'Auditorium de Lyon,
ne réserve pas vraiment de surprises. C'est bien fait,
bien écrit. L'interprétation est de grande valeur.
Mais la musique de Glass ne parvient plus à innover,
à se renouveler. A l'exception peut-être du morceau
conclusif intitulé " The end of Dracula "
où l'arpège glassien s'aventure dans de surprenantes
dissonances, comme si le compositeur voulait, consciemment
ou inconsciemment, faire éclater son propre système
musical. -
Dracula ? Ce n'est pas le film de Tod Browning ? -
Si, absolument
Mais la musique était manquante
et on a demandé à Glass d'en composer une
Dracula est un spectacle en soi, où la musique
est jouée en parfaite synchronisation avec l'image.
A l'origine interprétée par le Kronos Quartet
(c'est la version du coffret). Aujourd'hui, interprétée
par l'Ensemble Philip Glass.
Et puis, il y a donc l'opéra adapté du film
La Belle et la Bête de Jean Cocteau. Là
aussi, on a bien une histoire de synchronisation, mais cette
fois beaucoup plus rude. Le film de Cocteau, dont on a supprimé
la bande son et la musique de Georges Auric, est en effet
projeté sur un écran situé sur la scène
et les images du film sont synchronisées à une
nouvelle musique totalement originale (composée par
Glass - jouée en direct) et aux voix des chanteurs
qui reprennent mot pour mot tous les dialogues. Ce n'est plus
le timbre reconnaissable de la voix de Jean Marais que l'on
entend mais celles du baryton Gregory Purnhagen et de la mezzo-soprano
Janice Felty qui, pour sa part, double Josette Day dans son
rôle de Belle.
La Belle et la Bête de Philip Glass (1995) reste
un opéra mineur dans la carrière du compositeur.
Les mélodies sont habiles, parfois inspirées,
d'un romantisme inhabituel chez Glass, parfois aussi alourdies
par l'usage délibéré et exclusif du synthétiseur.
La prouesse technique est évidente. La qualité
de la composition est plus conventionnelle.
Dernière chose concernant le coffret Philip on film
: les suppléments. Car, jusqu'à présent,
toutes les musiques de films précitées étaient
déjà sorties dans le commerce, certaines depuis
longtemps, d'autres comme Koyaanisqatsi ayant même
fait l'objet d'une deuxième version discographique.
Il y a, en tout et pour tout, vingt minutes de nouveautés
sur les cinq CD de Philip on film, c'est-à-dire
trois compositions inédites : The man in the bath,
tiré du film de Peter Greenaway ; Façades,
du film Evidence de Godfrey Reggio ; et enfin Diaspora
du film d'Atom Egoyan. Au regard d'un tel coffret, c'est trop
peu. Et puisque Philip on film est au départ
une tournée de spectacle, on aurait vraiment pu espérer
avoir l'enregistrement des versions live de toutes ces uvres.
Cela dit, c'est bientôt Noël. Et pour ceux qui
n'avaient pas encore fait l'acquisition des CD antérieurs,
Philip on film a le mérite de dresser en cinq
disques un panorama élargi du style Glass.
Candyman
1 & 2
Toujours de la musique de film, mais cette fois dans un seul
CD, reprenant les mélodies des films
Candyman (1990) de Bernard Rose et Candyman 2 :
Farewell to the Flesh de Bill Condon. Philip Glass
y déploie une musique onirique, évoquant le
mystère, le surnaturel. Du " Glass " conventionnel,
de bonne facture et qui distille, ici ou là, quelques
petites surprises musicales. Mais rien de très nouveau
non plus. Ce sont toujours les mêmes litanies répétitives,
les montées et les descentes d'une musique qui témoigne
néanmoins d'une habileté et, à certains
égards, d'une étrangeté incontestable.
Le CD se décompose en deux parties : la suite Candyman
et quelques mélodies supplémentaires provenant
du deuxième film. Le tout introduit par un morceau
à l'intonation féerique : " music box ".
Le CD, édité chez Orange Mountain Music, est
déjà disponible chez Amazon.com
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Jean-Louis Tallon |
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