Le nom de Michael J. Sheehy ne vous dit sans doute pas grand
chose et celui de Dream City Film Club (DCFC), groupe dont il
était le leader, non plus. Normal, l'Irlandais, même
s'il tourne beaucoup, reste plutôt confidentiel. Il est
pourtant un excellent songwriter, auteur de chansons pop impeccables.
Un conteur magnifique, sombre et torturé.
Le
groupe DCFC, composé de Michael Sheehy (chant), Alex
Vald (guitare), Andrew Park (basse) et Laurence Ash (batterie),
a emprunté son nom à un cinéma porno
de Londres. Leurs chansons, aux accents gothiques, s'apparentent
à la BO d'un film sur le sexe, la drogue et l'amour
torturé. Sheehy quitte le groupe en 1998 pour se lancer
dans une carrière solo et sort trois albums en trois
ans : 'Sweet Blue Gene' (2000), 'Ill Gotten Gains' (2001)
et 'No Longer My Concern' (2002). Dans ce dernier opus, on
retrouve les thèmes chers à Sheehy et déjà
développés dans les deux premiers albums : "
how many more albums can I write where drinking, fucking and
tragedy are the other riding inspiration ? I probably need
to take up some slightly more leisurely pursuits " (combien
d'autres albums puis-je écrire dans lesquels l'alcool,
le sexe et la tragédie sont la principale inspiration
? J'ai probablement besoin de m'intéresser à
des considérations légèrement plus douces).
L'album
est produit par Dimitri Tikovoï, l'instigateur du projet
électro-rock "Trash Palace " (qui réunit
John Cale (Velvet Underground), Brian Molko (Placebo), Jean-Louis
Murat etc.). Michael J Sheehy a également convié
plusieurs invités : outre Tikovoï qui prend en
charge la batterie sur la majeure partie du disque, on remarque
aussi la participation d'Alison Shaw, la chanteuse des Cranes,
dont la voix très enfantine donne un côté
agréablement naïf à la ballade 'Dark country
moment'. Et on retrouve aussi l'ex-Cocteau Twins, Simon Raymonde,
au piano.
Les influences de Sheehy sont palpables : de Nick Cave à
Leonard Cohen en passant par Elvis - son idole - ou Tom Waits
(même excès de cigarettes et de vodka sans doute)
et l'Irlandais nous offre dans ce troisième opus, souvent
sur le mode de la confession, sa vision du monde et de la
nature humaine qui s'avère des plus désabusées.
Il y dépeint, dans une ambiance feutrée, un
univers sombre et souvent dérangeant, peuplé
d'âmes perdues, mais aussi teinté de beaucoup
d'ironie et de cynisme. Ses chansons ont la même beauté
noire que les 'Murder Ballads' de Nick Cave. Quant à
sa voix, très sensuelle et souvent proche du murmure,
elle nous envoûte dès les premiers morceaux.
Sheehy
a appris à rire de lui-même et ne renie pas un
certain côté masochiste " sometimes we can
create our own problems perhaps because our lives feel dull
and meaningless without a fix of trouble every now and again
" (Quelquefois, nous nous créons nous-mêmes
des problèmes sans doute parce que nos vies nous paraissent
vides et dépourvues de sens sans une bonne dose d'ennuis
de temps en temps) et il s'empresse d'ajouter que nous devons
donc " laugh at ourselves if we can cause we are all
tragically funny " ( rire de nous-mêmes si nous
pouvons car nous sommes tous tragiquement drôles).
"
No longer my concern " s'ouvre sur le titre 'Distracting
yourself from the doom', une tentative de divertissement,
au sens pascalien du terme, dans lequel Sheehy expose une
fois encore ses vieux démons : le sexe, l'alcool, la
religion, la mort. De plus, chez lui, l'amour revêt
forcément une forme torturée, tordue voire vicieuse
parfois. Il y a d'abord l'épisode 'Mary Bloody Mary',
histoire d'amour déçue qui s'égraine
sur deux plages au cours de l'album, puis cette 'Modest Beauty',
prostituée d'un soir, avec laquelle il essaie de remplacer
Mary, la femme idéale. Mais il finit par " kiss
(her) goodbye and shut the door " (l'embrasser et fermer
la porte). Cette variation sur un même thème
participe de la dimension obsessionnelle et hantée
de la musique de l'Irlandais.
Sheehy
est aussi l'auteur de chansons plus drôles comme l'excellente
'Ballad of a Pissed Apostle', aux accents bluesy, dans laquelle
il apparaît tel un treizième apôtre parcourant
les bars et collectionnant les filles alors que le Christ
se fait crucifier
et où il termine par cette
promesse - intenable - " I'll never touch another whore
or chase a drink again " (je ne toucherai jamais plus
ni à un autre verre ni à une autre fille).
Michael
J Sheehy ne se fait pas de cadeau. Après 'Pissboy'
sur l'album DCFC, le revoilà ici sous les traits d'un
'Pigboy' qui avoue " when I catch my reflexion I don't
like what I see " (quand je vois mon reflet, je n'aime
pas ce que je vois) ou encore " today I'm feeling ugly
" (aujourd'hui je me sens laid ). Mais on ne peut bizarrement
pas non plus s'empêcher de sourire à ce "
Pigboy blues " tant l'on ressent la distance et l'ironie
de Sheehy sur lui-même. Cette dichotomie du personnage,
entre cynisme et désespoir, fait dire à certains
qu'il chante comme un ange et rit comme le diable.
L'album
se clôt sur le titre 'Twisted Little Man', sorte d'avertissement
à qui tenterait de l'approcher : " don't you move
too close I'm a twisted little man " (Ne t'approche pas
trop près, je suis un petit mec tordu). On se surprend
à laisser tourner la platine, imprégné
par la douce mélancolie de ce dernier titre, et c'est
alors qu'une nouvelle version de 'The Pissed Apostle', plus
rock cette fois, se fait entendre. Dernier clin d'il
du chanteur.
Michael
J Sheehy est un songwriter complexe. Même s'il confie,
avec le sourire, qu'il s'intéressera désormais
à des sujets plus gais, espérons que l'on retrouvera
toujours la mélancolie, le cynisme, l'ambiance douce-amère
et torturée qui font le charme de cet excellent "short,
bald and twisted bastard " (pauvre petit mec, chauve
et tordu).
No
Longer My Concern, Beggars Banquet (2002)
Ill Gotten Gains, Beggars Banquet (2001)
Sweet Blue Gene, Beggars Banquet (2000)
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Aline
Van Hoecke
Mai 2003 |
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