Nous
voulions savoir si elle était vraiment morte,
comme cela semblait il y a deux ans, étouffée
par les vidéos d'espaces seulement virtuels et
par des projets souvent beaux mais irréalisables
ou inimaginables dans le contexte flou de nos villes.
"Next", huitième Exposition Internationale
d'Architecture, inaugurée le 8 septembre (fermée
depuis le 4 novembre), a donc été l'occasion
de faire le point sur l'état d'intégration
de la discipline architectonique dans le chaudron de
la culture contemporaine et une excuse pour revoir un
an après les espaces de la Biennale. Les vrais
espaces, ceux de l'Arsenal faits de briques et d'humidité
pour construire la puissance de Venise, s'opposent à
ceux artificiels, des pavillons des nations aux Jardins
du Château, nés pour ne pas être
habités, souvenir absurde d'une époque
où existaient, où l'on pensait qu'existaient
les cultures nationales, les arts nationaux, les architectures
d'un pays, les nations.
Comme l'année passée pour l'Art, dans
la Biennale d'Architecture, le meilleur est donné
à voir à l'Arsenal, où les projets
sont présentés par typologies
fonctionnelles : les habitations, les musées,
les lieux d'échange, l'éducation, le travail,
le shopping, le spectacle, les édifices publics
et de culte et enfin les plans d'urbanisme. Seule exception
et faiblesse d'une organisation pour une fois à
louer, la volonté d'insérer au centre
de cette succession une section caractérisée
par la seule typologie de construction, dédiée
aux tours. Le choix nous a paru trop évident
et superflu étant donné que les Etats-Unis
avaient consacré leur pavillon au souvenir des
victimes du 11 septembre et aux projets de réédification
de ground zero. Les projets des tours auraient
certainement pu trouver leur place à l'intérieur
d'autres sections. Au fond, ces bâtiments accueilleront
des bureaux ou des lieux de production, ou encore des
appartements.
Pour le reste nous avons éprouvé une grande
satisfaction à découvrir une organisation
très claire de toutes les sections. Les projets
présentés à travers l'utilisation
de dessins techniques et surtout de maquettes de différentes
échelles permettent une lecture immédiate,
chose désormais rare dans les publications spécialisées,
victimes souvent d'un excès de graphisme.
Tous les projets ne sont pas exceptionnels, mais la
quasi-totalité est d'un excellent niveau. Surtout
la recherche de la simplicité du geste architectural
nous est apparue de nouveau en vogue. L'école
de la complexité qui se voit, celle des surfaces
forcément inclinées, des fenêtres
à tout prix, après avoir soufflé
comme le mistral sur nos banlieux, déjà
éprouvées par la vague postmoderne, est
peut-être en train de perdre de son influence.
Face à l'Ocean Retreat de Steven Holl, à
l'Attico de Tadao Ando à NY, aux bureaux de Tokyo
Ito et Campo Baeza, au théatre de Claus en Kaan
pour Middelburg, à la Kolumba de Peter Zumthor,
le travail de Frank O. Gehry et Zaha Adid montre ici
sa faiblesse. Etre confus ou carrément vague
ne paye plus.
Maintenant que le désastre postmoderne est évident,
avec son intrégration jamais réalisée
entre histoire et technologie, entre monuments et petites
villas suburbaines, et avec la ruine née de la
spéculation du bâtiment et des politiques
publiques, toujours en retard sur la théorie
architectonique, mais prêtes à se l'approprier
de façon démagogique, seuls la clarté
et l'usage conscient des matériaux de construction
peuvent guérir les blessures infligées
à nos paysages urbains et naturels.
A ce propos il est important de mentionner au moins
trois des pavillons nationaux : à savoir la Grèce,
le Brésil et la Finlande.
La Grèce, déjà, n'a présenté
aucun projet. Dans son espace, une série de diapositives,
divisées par thème, illustrent à
partir de la micro-échelle urbaine l'absolu réalisme
de la ville d'Athènes. Ce ne sont pas tant les
habitations, par ailleurs monotones de la ville, qui
intéressent, mais plutôt les exceptions,
les changements introduits par l'usage, les disharmonies
nées de l'oubli, l'exubérance du privé
sur un espace public trop anonyme. Athènes est
une ville étrange, chaotique, aux frontières
du monde européen. Mais surtout c'est une ville
moderne, sans vraiment le paraître. S'il s'agit
bien d'une ville bétonnée, l'utilisation
de l'espace reste très traditionnelle. C'est
ce qu'aiment les Grecs et dans cette expo, ils ont essayé
d'expliquer pourquoi, sans en dire plus. Sans penser
à ce qu'il adviendra de cette ville si elle continue
à s'étendre.
Le Brésil a en revanche décidé
de mettre la main aux immenses bidonvilles qui entourent
ses villes. Et il a décidé de le faire
à travers un programme d'intervention publique
qui privilégie la réhabilitation de petits
espaces communs, plutôt que l'inutile gaspillage
d'argent dans l'édification de nouveaux quartiers.
Terrains de basket, places, arrêts d'autobus et
terrasses panoramiques portent un peu de couleurs et
s'affirment comme pauses et noyaux d'ordre dans l'indistinct
développement des favelas. Nos compliments au
Brésil qui a compris à quoi sert d'avoir
un pavillon à la Biennale. Si la présentation
par nations a encore un sens, celle-ci réside
dans la possibilité de faire savoir aux autres
ce qui est en train de se faire de bon et de concret
pour résoudre les problèmes de ses propres
villes ou de son territoire. Et le Brésil l'a
fait.
Mais nos compliments aussi à la Finlande qui
sait que ce sont les architectes qui font de l'architecture
et qui offre à l'Afrique l'unique vitrine qui
lui ait été concédée. Dans
leur pavillon sont en effet exposés seulement
des projets réalisés par des Finlandais
en pays africains. Comme pour la Grèce et le
Brésil, là aussi l'échelle est
petite, mais l'idée est grande.
Ces exemples laissent espérer. Ce sont des idées
simples, mais des idées claires. Comme c'est
le cas pour les meilleurs projets de l'Arsenal. L'Architecture
cuve son vin après l'entrée massive de
l'informatique dans sa production. Elle a également
réussi à se sauver de la menace des vidéos
comme instruments de représentations. Elle reprend
difficilement sa route et les idées sont nombreuses
et toutes diverses. Il est dommage de voir que la même
chose ne concerne pas tous les pays, mais peut-être
est-ce seulement une question de temps ?
Ajoutons pour finir que les Pays Bas ont gagné
la compétition entre les nations, Alvaro Siza
a eu le prix pour son projet de l'Ibere Camargo Foundation
et Toyo Ito pour sa carrière. Comme d'habitude,
peut être on aurait pu faire preuve de plus d'audace
dans le choix final.
Il reste ancore une question : où est passé
Monsieur Remment Lucas Koolhaas?
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Mario
Mainetti
Milan - Novembre 2002 |
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