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Bernard Werber  - Photo HorsPress Bernard Werber : " J'écris pour changer le monde "...
      
Provocateur ? Impertinent ? Présomptueux ? Génial ? Moderne ? Inventif ? La liste promet d'être longue, tant les livres et les idées de Bernard Werber se veulent hors des sentiers battus, pourfendeurs d'idées reçues et critiques de nos univers confortables. Avec, en ligne de mire, un seul objectif : rendre notre fourmilière planétaire plus harmonieuse. Rencontre avec l'auteur de l'Encyclopédie du savoir relatif et absolu, de la trilogie des Fourmis et, plus récemment, de l'Ultime secret.

Jean-Louis Tallon - Vous avez commencé à écrire très jeune. Quand avez-vous su que vous vouliez devenir écrivain ?

Bernard Werber - Ca s'est fait tout seul. Je n'ai jamais voulu être écrivain. Mais un jour, je me suis aperçu que je gagnais mieux ma vie en écrivant, qu'en restant au chômage. Auparavant, j'avais été journaliste scientifique pendant sept ans. Mais je me suis fait virer par mes responsables, car ils n'avaient pas admis que je me sois présenté, après sélection, au prix Mumm qui récompense le meilleur article scientifique de l'année.

JLT - Arrivez-vous à tenir votre rythme de quatre heures d'écriture quotidienne quand vous participez à des événements comme les foires du livre ?

BW - Oui. Pas toujours. En règle générale, il suffit de se lever tôt. Et pour cela, il ne faut donc pas se coucher tard. C'est une règle !

JLT - Vous faîtes souvent référence à de nombreux écrivains venant essentiellement de la science fiction, du fantastique ou du polar. Flaubert mis à part, vous ne citez aucun autre écrivain de littérature dite générale. Pourquoi ?

BW - Selon moi, la littérature doit amener une information. Si la question est de savoir comment le type a couché avec la fille, ce qui est, en soi, l'essentiel de la littérature actuelle, je trouve ça limité. J'ai lu Roméo et Juliette. Je crois que Shakespeare a bien traité le sujet. Les autres ne sont que de pâles copies. Ils ne m'intéressent donc pas. Je suis outré de voir que la littérature française publiée actuellement est constituée à 90% de personnes qui parlent de leur nombril ou de leurs amants. S'ils ne parlent pas d'autres choses, c'est qu'ils ne doivent pas avoir beaucoup d'imagination.

JLT - Le personnage d'Edmond Welles dans les Fourmis déclare qu'il faut penser différemment : " Si on réfléchit comme on en a l'habitude, on n'arrive à rien. " Pourrait-on dire qu'une telle formule résume votre manière d'écrire ?

BW - Oui. Je poursuis une démarche scientifique d'expérimentateur. Chaque livre me permet de tester de nouvelles techniques de narration. Le système du montage romanesque en torsades a, au début, beaucoup dérouté mes lecteurs. Maintenant, ils se sont, je crois, habitués aux constructions architecturales de mes romans.

JLT - Vos lecteurs ont été déroutés par la structure des Fourmis ?

BW - Oui. Beaucoup me disaient avoir lu, l'un après l'autre, les deux récits qui s'entremêlaient. Ils n'arrivaient pas à suivre. Je considère qu'il ne faut pas forcément placer les gens dans le confort. Si on veut vraiment les mettre à l'aise, il vaut mieux leurs écrire un livre déjà vu. Mais quel intérêt alors pour nous de repétér ce qui a déjà été fait ? Selon moi, l'intérêt d'écrire est de produire du nouveau, d'inventer, au sens propre du terme.

JLT - Et vous avez inventé dans l'écriture…

BW - Oui. Dans un laboratoire, il est très difficile de vraiment inventer ! Là, avec un papier et un crayon, je peux tout imaginer et rêver, s'ils le souhaitent, avec mes lecteurs.

JLT - Comment travaillez-vous ? Etes-vous comme Simenon à écrire quelques noms sur une enveloppe et à se contenter d'une brève esquisse de l'histoire ou êtes-vous plutôt du genre à vous documenter ?

BW - Auparavant, j'écrivais une nouvelle chaque jour, entre six et sept heures du soir, avec comme règle récurrente d'imaginer une fin surprenante. J'en ai tellement écrit ! Certaines de ses nouvelles sont matières à écrire des romans. C'est aujourd'hui pour moi un extraordinaire réservoir d'idées. Donc, j'y travaille. Je les relis et essaye de bien les comprendre.

JLT - Pourquoi ? C'était de l'écriture automatique ?

BW - Comment dire ? Quand j'écrivais une nouvelle de ce type, je fonçais ! Je ne travaillais pas spécialement la description mais l'efficacité de l'histoire.

JLT - L'écriture de romans, le fait de raconter des histoires, est-ce pour vous une manière d'atteindre le " savoir absolu " comme le personnage de Welles, c'est à dire de toujours s'interroger ?

BW - Ca va plus loin. Atteindre le savoir absolu ne suffit pas. J'écris pour changer le monde. A mon petit niveau. Tel qu'il est, le monde ne me plaît pas. Il pourrait être pire mais il pourrait être également beaucoup mieux. Mes lecteurs sont spécialement intelligents et ouverts d'esprit. Quand je dis ça, ce n'est pas du deuxième degré. Ils ont vraiment un regard plus intelligent que la moyenne. Ils ont une meilleure faculté de comprendre. Donc, en leurs fournissant des idées et de la matière, peut-être peuvent-ils agir sur le monde d'aujourd'hui ? Avec mes livres, je passe en quelque sorte le relais à mes lecteurs.

JLT - Qu'est-ce qui vous révolte pour agir dans cet esprit ?

BW - La barbarie monte à toute vitesse. Les démocraties préfèrent baisser les bras devant elle. Elles nous préparent…

JLT - …un chaos général ?

BW - Oh, non. Plutôt l'éventualité de vivre dans un monde de lâchetés ou de barbarie. Les deux ne me plaisent pas. Les populations se laissent faire pour de très mauvaises raisons, qui sont : l'argent et la tranquillité. Personne ne veut ouvrir les yeux et regarder en face le monde brutal dans lequel nous vivons. Tout le monde est prêt à se battre pour partir en vacances ou avoir les congés payés. Personne ne comprend qu'avec ce genre d'attitude, l'avenir de l'humanité est mis en péril.

JLT - On a parfois l'impression que vous dressez, dans vos romans, le bilan des connaissances actuelles - idéologiques, philosophiques - et que d'une certaine manière, par le biais de l'écriture et de la mise en scène de vos histoires, vous confrontez tous ces domaines pour les interroger, et par là-même questionner notre époque…

BW - Oui. L'idée de l'arme du futur, que j'ai développée dans l'Ultime secret, est une idée forte. J'ai vraiment envie de créer une association destinée à prévoir le futur afin d'expliquer le présent. Il faut réunir les hommes de bonne volonté. Il faudrait même pouvoir s'isoler, prendre du recul pour observer l'humanité et tenter de comprendre la situation. Aujourd'hui, tout repose sur la peur et la lâcheté. C'est navrant.

JLT - Vous dites avoir développé quatre règles de vie, sinon de conduite et de pensée en tant qu'écrivain. Je voudrais vous interroger sur celle de l'autonomie.

BW - C'est la plus importante. Toutes les autres en découlent.

JLT - Etes-vous autonome ?

BW - Je suis aussi autonome que peut me l'autoriser notre société. Je ne me rends pas à mon bureau tous les jours. C'est déjà incroyable ! Je ne vais ni dans une école, ni dans une Université, et personne ne me signale que j'arrive en retard le matin sur mon lieu de travail.

JLT - Vous évoquez, dans les Fourmis, une société sans chef, propre aux fourmis mais inexistante chez les hommes. Mais vous la souhaitez comme vous souhaitez que les hommes soient finalement plus responsables…

BW - Dès le moment où l'on délègue le pouvoir à un système, tel quel l'entreprise ou un gouvernement politique, on est infantilisé. Il faut pouvoir assumer ce qu'on ne veut attendre ni de l'état, ni du système scolaire, ni de l'entreprise. Cela dit, je ne prône pas un individualisme complet, mais l'autonomie. Etre individualiste revient à penser uniquement à ses intérêts ; être autonome revient à ne pas dépendre des autres. Ce n'est pas pareil.

JLT - Pourquoi pensez-vous qu'Internet peut nous faire sortir des castes ?

BW - Internet permet de rester chez soi, d'être tranquille et de produire un travail basé sur la qualité de son esprit. Sur Internet, vous pouvez dessiner un tableau, l'envoyer et le diffuser. C'est un outil de diffusion instantanée de la culture et du travail, permettant la décentralisation, le désengorgement des villes et la communication au-delà des continents et des frontières.

JLT - Avez-vous été tenté de publier un livre sur Internet à la manière de Stephen King ?

BW - Non. Pour moi, l'intérêt de diffuser quelque chose grâce à Internet, c'est la gratuité. Vous pourrez lire, par exemple, une de mes nouvelles sur mon site : vous ne paierez rien.

JLT - L'Empire des anges est, selon vous, un prolongement moderne de la Divine Comédie qui avait, je vous cite, " un besoin d'être réactualisée au regard des nouvelles connaissances sur les mystiques orientales et les textes anciens. " C'est à dire ?

BW - A l'époque, la Divine Comédie faisait le point sur la mystique. Aujourd'hui, les temps ont changé. Il fallait dresser un nouveau bilan. De nouveaux concepts ont fait leur apparition. Et notamment l'immixion de la science dans le domaine mystique. Il y a des zones de connexion entre la science et la spiritualité et ces zones matérialisent la physique quantique. Mais j'y vais doucement. La physique quantique est difficile à expliquer et je ne suis pas sûr d'avoir, moi-même, tout compris.

JLT - Vous avez dit avoir souffert du plagiat de Fourmiz.

BW - On ne m'a jamais facilité les choses. On me pique les idées. Vous savez, au bout d'un moment, c'est fatiguant. Il me faudrait en fait une armée d'avocats pour protèger mes intérêts. Mais je suis un pur créatif. Et je n'ai pas derrière moi une équipe de gestionnaires prêts à travailler pour moi. C'est aussi une question de temps. Si je me lance dans les procès, je perdrais les heures nécessaires à mes créations. Je préfère créer et ne pas me rendre justice.

JLT - Envisagez-vous de réaliser un long métrage ?

BW - Oui. Le jour où je rencontrerais un producteur intelligent et de parole.

JLT - Dans le cinéma français, les producteurs manquent d'intelligence ?

BW - Non. Ils n'ont pas de paroles. C'est très détestable. Ce n'est pas aussi visible dans l'édition. Je m'entends parfaitement avec mon éditeur (NDLR : Albin Michel). Le monde du cinéma est peuplé de beaux parleurs qui ne font rien. J'attends de trouver mon pygmalion : une personne discrète mais active. Je cherche encore.

JLT - Avez-vous vu Microcosmos ? Et si oui, qu'en avez-vous pensé ?

BW - J'ai beaucoup de sympathie pour le producteur Jacques Perrin et l'ensemble de ses projets : Microcosmos, les Oiseaux migrateurs, Himalaya… Mais quant aux réalisateurs de Microcosmos, ils m'ont semblé avoir récemment pété les plombs. Ils se prennent pour des stars du rock'n roll, habillés de noir. Où est le rapport ? Par moment, la plupart des gens ont des problèmes d'ego. S'il s'agit de dire : " Tout pour moi, rien pour les autres ", c 'est nul ! L'autonomie, que je prône, permet de lutter contre ce genre d'attitude. Mais il ne suffit pas d'être indépendant vis-à-vis des autres. Parce que je suis indépendant, je peux justement aider les autres. Il ne faut pas se dire : " Que peuvent faire les autres pour moi ? " Il peut heureusement y avoir alors des synergies. J'aide quelqu'un ; celui-ci m'aide en retour : là c'est l'idéal. Pour ma part, je recherche une société faite d'harmonie. Cela demande du civisme. Malheureusement, cette notion est actuellement en train de totalement disparaître. Mettre le feu aux voitures est une mode. C'est fun, pour certains… Selon moi, le respect les autres devrait inspirer la prochaine mode. Je souhaite que les hommes puissent vivre en harmonie avec les autres hommes et la nature. C'est, selon moi, la seule voie. Aujourd'hui, on va, me semble-t-il, en sens inverse. J'ai donc toutes les raisons d'être inquiet.

Propos recueillis par Jean-Louis Tallon
Mars 2002 - Bruxelles


Bernard Werber  - Photo HorsPress

 
 
 

les Fourmis (1991)
le Jour des fourmis (1992)
l'Encyclopédie du savoir
relatif et absolu
(1993)
les Thanatonautes (1994)
la Révolution des fourmis (1996)
l'Empire des anges (2000)
l'Ultime secret (2001)
l'Arbre des possibles (2002), à paraître


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le site officiel de Bernard Werber

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 

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